son cabas des tranches de viande froide, et on
dejeunait dans un appartement faisant suite a la laiterie. Il etait le
seul reste d'une habitation de plaisance, maintenant disparue. Le papier
de la muraille en lambeaux tremblait aux courants d'air. Mme Aubain
penchait son front, accablee de souvenirs; les enfants n'osaient plus
parler. "Mais jouez donc!" disait-elle; ils decampaient.
Paul montait dans la grange, attrapait des oiseaux, faisait des
ricochets sur la mare, ou tapait avec un baton les grosses futailles qui
resonnaient comme des tambours.
Virginie donnait a manger aux lapins, se precipitait pour cueillir des
bleuets, et la rapidite de ses jambes decouvrait ses petits pantalons
brodes.
Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages.
La lune a son premier quartier eclairait une partie du ciel, et un
brouillard flottait comme une echarpe sur les sinuosites de la Toucques.
Des boeufs, etendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces
quatre personnes passer. Dans la troisieme pature quelques-uns se
leverent, puis se mirent en rond devant elles.--"Ne craignez rien!" dit
Felicite; et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur
l'echine celui qui se trouvait le plus pres; il fit volte-face, les
autres l'imiterent. Mais, quand l'herbage suivant fut traverse, un
beuglement formidable s'eleva. C'etait un taureau, que cachait le
brouillard. Il avanca vers les deux femmes. Mme Aubain allait
courir.--"Non! non! moins vite!" Elles pressaient le pas cependant, et
entendaient par derriere un souffle sonore qui se rapprochait. Ses
sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie; voila qu'il
galopait maintenant! Felicite se retourna, et elle arrachait a deux
mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux. Il baissait
le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant
horriblement. Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits,
cherchait eperdue comment franchir le haut bord. Felicite reculait
toujours devant le taureau, et continuellement lancait des mottes de
gazon qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait:--"Depechez-vous!
depechez-vous!" Mme Aubain descendit le fosse, poussa Virginie, Paul
ensuite, tomba plusieurs fois en tachant de gravir le talus, et a force
de courage y parvint.
Le taureau avait accule Felicite contre une claire-voie; sa bave lui
rejaillissait a la figure, une seconde de plus il l'eventrait. Elle eut
le temps de se couler entr
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