aisir a retenir a table, en continuant de manger, le
prince impatient, qui brulait du desir de lever le siege. Parfois
Monsieur se repentait de cet ascendant qu'il avait laisse prendre
sur lui au chevalier de Lorraine, et qui exemptait celui-ci de
toute etiquette.
Monsieur etait dans un de ces moments-la; mais il craignait le
chevalier presque autant qu'il l'aimait, et se contentait de rager
interieurement.
De temps en temps, Monsieur levait les yeux au ciel, puis les
abaissait sur les tranches de pate que le chevalier attaquait;
puis enfin, n'osant eclater, il se livrait a une pantomime dont
Arlequin se fut montre jaloux.
Enfin Monsieur n'y put tenir, et au fruit, se levant tout
courrouce, comme nous l'avons dit, il laissa le chevalier de
Lorraine achever son dejeuner comme il l'entendrait.
En voyant Monsieur se lever, Manicamp se leva tout roide, sa
serviette a la main.
Monsieur courut plutot qu'il ne marcha vers l'antichambre, et,
trouvant un huissier, il le chargea d'un ordre a voix basse.
Puis, rebroussant chemin, pour ne pas passer par la salle a
manger, il traversa ses cabinets, dans l'intention d'aller trouver
la reine mere dans son oratoire, ou elle se tenait habituellement.
Il pouvait etre dix heures du matin.
Anne d'Autriche ecrivait lorsque Monsieur entra. La reine mere
aimait beaucoup ce fils, qui etait beau de visage et doux de
caractere.
Monsieur, en effet, etait plus tendre et, si l'on veut, plus
effemine que le roi.
Il avait pris sa mere par les petites sensibleries de femme, qui
plaisent toujours aux femmes; Anne d'Autriche, qui eut fort aime
avoir une fille, trouvait presque en ce fils les attentions, les
petits soins et les mignardises d'un enfant de douze ans.
Ainsi, Monsieur employait tout le temps qu'il passait chez sa mere
a admirer ses beaux bras, a lui donner des conseils sur ses pates
et des recettes sur ses essences, ou elle se montrait fort
recherchee; puis il lui baisait les mains et les yeux avec un
enfantillage charmant, avait toujours quelque sucrerie a lui
offrir, quelque ajustement nouveau a lui recommander.
Anne d'Autriche aimait le roi, ou plutot la royaute dans son fils
aine: Louis XIV lui representait la legitimite divine.
Elle etait reine mere avec le roi; elle etait mere seulement avec
Philippe. Et ce dernier savait que, de tous les abris, le sein
d'une mere est le plus doux et le plus sur.
Aussi, tout enfant, allait-il se refugier la quand des ora
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