s'ecria Baisemeaux transporte.
-- Et, fit d'Artagnan en l'arretant avec un regard severe, la
parole d'honneur?
-- Oh! sacree! repliqua le petit homme en s'appretant a courir.
-- Ou allez-vous?
-- Chez M. Fouquet.
-- Non pas, M. Fouquet est au jeu du roi. Que vous alliez chez
M. Fouquet demain de bonne heure, c'est tout ce que vous pouvez
faire.
-- J'irai; merci!
-- Bonne chance!
-- Merci!
-- Voila une drole d'histoire, murmura d'Artagnan, qui, apres
avoir quitte Baisemeaux, remonta lentement son escalier. Quel
diable d'interet Aramis peut-il avoir a obliger ainsi Baisemeaux?
Hein!... nous saurons cela un jour ou l'autre.
Chapitre XCVI -- Le jeu du roi
Fouquet assistait, comme l'avait dit d'Artagnan, au jeu du roi.
Il semblait que le depart de Buckingham eut jete du baume sur tous
les coeurs ulceres la veille.
Monsieur, rayonnant, faisait mille signaux affectueux a sa mere.
Le comte de Guiche ne pouvait se separer de Buckingham, et, tout
en jouant, il s'entretenait avec lui des eventualites de son
voyage...
Buckingham, reveur et affectueux comme un homme de coeur qui a
pris son parti, ecoutait le comte et adressait de temps en temps a
Madame un regard de regrets et de tendresse eperdue.
La princesse, au sein de son enivrement, partageait encore sa
pensee entre le roi, qui jouait avec elle, Monsieur, qui la
raillait doucement sur des gains considerables, et de Guiche, qui
temoignait une joie extravagante.
Quant a Buckingham, elle s'en occupait legerement; pour elle, ce
fugitif, ce banni etait un souvenir, non plus un homme. Les coeurs
legers sont ainsi faits; entiers au present, ils rompent
violemment avec tout ce qui peut deranger leurs petits calculs de
bien-etre egoiste. Madame se fut accommodee des sourires, des
gentillesses, des soupirs de Buckingham present; mais de loin,
soupirer, sourire, s'agenouiller, a quoi bon?
Le vent du detroit, qui enleve les navires pesants, ou balaie-t-il
les soupirs? Le sait-on?
Le duc ne se dissimula point ce changement; son coeur en fut
mortellement blesse.
Nature delicate, fiere et susceptible de profond attachement, il
maudit le jour ou la passion etait entree dans son coeur. Les
regards qu'il envoyait a Madame se refroidirent peu a peu au
souffle glacial de sa pensee. Il ne pouvait mepriser encore, mais
il fut assez fort pour imposer silence aux cris tumultueux de son
coeur. A mesure que Madame devinait ce changement, elle redoub
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