- Ma chere, dit-elle, tu m'oublies donc? Tu es donc tout entiere
aux plaisirs de la cour?
-- Je n'ai pas vu seulement les fetes du mariage.
-- Que fais-tu alors?
-- Je me prepare a aller a Belliere.
-- A Belliere!
-- Oui.
-- Campagnarde alors. J'aime a te voir dans ces dispositions. Mais
tu es pale.
-- Non, je me porte a ravir.
-- Tant mieux, j'etais inquiete. Tu ne sais pas ce qu'on m'avait
dit?
-- On dit tant de choses!
-- Oh! celle-la est extraordinaire.
-- Comme tu sais faire languir ton auditoire, Marguerite.
-- M'y voici. C'est que j'ai peur de te facher.
-- Oh! jamais. Tu admires toi-meme mon egalite d'humeur.
-- Eh bien! on dit que... Ah! vraiment, je ne pourrai jamais
t'avouer cela.
-- N'en parlons plus alors, fit Mme de Belliere, qui devinait une
mechancete sous ces preambules, mais qui cependant se sentait
devoree de curiosite.
-- Eh bien! ma chere marquise, on dit que depuis quelque temps tu
regrettes beaucoup moins M. de Belliere, le pauvre homme!
-- C'est un mauvais bruit, Marguerite; je regrette et regretterai
toujours mon mari; mais voila deux ans qu'il est mort; je n'en ai
que vingt-huit, et la douleur de sa perte ne doit pas dominer
toutes les actions, toutes les pensees de ma vie. Je le dirais,
que toi, toi, Marguerite, la femme par excellence, tu ne le
croirais pas.
-- Pourquoi? Tu as le coeur si tendre! repliqua mechamment
Mme Vanel.
-- Tu l'as aussi, Marguerite, et je n'ai pas vu que tu te
laissasses abattre par le chagrin quand le coeur etait blesse.
Ces mots etaient une allusion directe a la rupture de Marguerite
avec le surintendant. Ils etaient aussi un reproche voile, mais
direct, fait au coeur de la jeune femme.
Comme si elle n'eut attendu que ce signal pour decocher sa fleche,
Marguerite s'ecria:
-- Eh bien! Elise, on dit que tu es amoureuse.
Et elle devora du regard Mme de Belliere, qui rougit sans pouvoir
s'en empecher.
-- On ne se fait jamais faute de calomnier les femmes, repliqua la
marquise apres un instant de silence.
-- Oh! on ne te calomnie pas, Elise
-- Comment! on dit que je suis amoureuse, et on ne me calomnie
pas?
-- D'abord, si c'est vrai, il n'y a pas de calomnie, il n'y a que
medisance; ensuite, car tu ne me laisses pas achever, le public ne
dit pas que tu t'abandonnes a cet amour. Il te peint, au
contraire, comme une vertueuse amante armee de griffes et de
dents, te renfermant chez toi comme dans une fortere
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