elez-vous vous faire justice vous-meme? demanda Anne
d'Autriche avec un certain effroi.
-- Je veux que M. de Buckingham quitte Madame; je veux que
M. de Buckingham quitte la France, et je lui ferai signifier ma
volonte.
-- Vous ne ferez rien signifier du tout, Philippe, dit la reine;
car si vous agissiez de la sorte, si vous violiez a ce point
l'hospitalite, j'invoquerais contre vous la severite du roi.
-- Vous me menacez, ma mere! s'ecria Philippe eplore; vous me
menacez quand je me plains!
-- Non, je ne vous menace pas, je mets une digue a votre
emportement. Je vous dis que prendre contre M. de Buckingham ou
tout autre Anglais un moyen rigoureux, qu'employer meme un procede
peu civil, c'est entrainer la France et l'Angleterre dans des
divisions fort douloureuses. Quoi! un prince, le frere du roi de
France, ne saurait pas dissimuler une injure, meme reelle, devant
une necessite politique!
Philippe fit un mouvement.
-- D'ailleurs, continua la reine, l'injure n'est ni vraie ni
possible, et il ne s'agit que d'une jalousie ridicule.
-- Madame, je sais ce que je sais.
-- Et moi, quelque chose que vous sachiez, je vous exhorte a la
patience.
-- Je ne suis point patient, madame.
La reine se leva pleine de roideur et de ceremonie glacee.
-- Alors expliquez vos volontes, dit-elle.
-- Je n'ai point de volonte, madame; mais j'exprime des desirs.
Si, de lui-meme, M. de Buckingham ne s'ecarte point de ma maison,
je la lui interdirai.
-- Ceci est une question dont nous refererons au roi, dit Anne
d'Autriche le coeur gonfle, la voix emue.
-- Mais, madame, s'ecria Philippe en frappant ses mains l'une
contre l'autre, soyez ma mere et non la reine, puisque je vous
parle en fils; entre M. de Buckingham et moi, c'est l'affaire d'un
entretien de quatre minutes.
-- C'est justement cet entretien que je vous interdis, monsieur,
dit la reine reprenant son autorite; ce n'est pas digne de vous.
-- Eh bien! soit! je ne paraitrai pas, mais j'intimerai mes
volontes a Madame.
-- Oh! fit Anne d'Autriche avec la melancolie du souvenir, ne
tyrannisez jamais une femme, mon fils; ne commandez jamais trop
haut imperativement a la votre. Femme vaincue n'est pas toujours
convaincue.
-- Que faire alors?... Je consulterai autour de moi.
-- Oui, vos conseillers hypocrites, votre chevalier de Lorraine,
votre de Wardes... Laissez-moi le soin de cette affaire, Philippe;
vous desirez que le duc de Buckingham s'eloigne
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