pour
l'Angleterre. J'ai amasse aussi du desespoir et de la rage, moi.
J'ai donc, comme vous, besoin de me venger sur quelqu'un.
J'approuve fort les principes de M. d'Artagnan, mais je ne suis
pas tenu de les appliquer a vous. Je suis Anglais, et je viens
vous proposer a mon tour ce que vous avez inutilement propose aux
autres.
-- Monsieur le duc!
-- Allons, cher monsieur de Wardes, puisque vous etes si fort
courrouce, prenez-moi pour quintaine. Je serai a Calais dans
trente-quatre heures. Venez avec moi, la route nous paraitra moins
longue ensemble que separes. Nous tirerons l'epee la-bas, sur le
sable que couvre la maree, et qui, six heures par jour, est le
territoire de la France, mais pendant six autres heures le
territoire de Dieu.
-- C'est bien, repliqua de Wardes; j'accepte.
-- Pardieu! dit le duc, si vous me tuez, mon cher monsieur
de Wardes, vous me rendrez, je vous en reponds, un signale
service.
-- Je ferai ce que je pourrai pour vous etre agreable, duc, dit
de Wardes.
-- Ainsi, c'est convenu, je vous emmene.
-- Je serai a vos ordres. Pardieu! j'avais besoin pour me calmer
d'un bon danger, d'un peril mortel.
-- Eh bien! je crois que vous avez trouve votre affaire.
Serviteur, monsieur de Wardes; demain, au matin, mon valet de
chambre vous dira l'heure precise du depart; nous voyagerons
ensemble comme deux bons amis. Je voyage d'ordinaire en homme
presse. Adieu!
Buckingham salua de Wardes et rentra chez le roi. De Wardes,
exaspere, sortit du Palais-Royal et prit rapidement le chemin de
la maison qu'il habitait.
Chapitre XCV -- M. Baisemeaux de Montlezun
Apres la lecon un peu dure donnee a de Wardes, Athos et d'Artagnan
descendirent ensemble l'escalier qui conduit a la cour du Palais-
Royal.
-- Voyez-vous, disait Athos a d'Artagnan, Raoul ne peut echapper
tot ou tard a ce duel avec de Wardes; de Wardes est brave autant
qu'il est mechant.
-- Je connais ces droles-la, repliqua d'Artagnan; j'ai eu affaire
au pere. Je vous declare, et en ce temps j'avais de bons muscles
et une sauvage assurance, je vous declare, dis-je, que le pere m'a
donne du mal. Il fallait voir cependant comme j'en decousais. Ah!
mon ami, on ne fait plus des assauts pareils aujourd'hui; j'avais
une main qui ne pouvait rester un moment en place, une main de
vif-argent, vous le savez, Athos, vous m'avez vu a l'oeuvre. Ce
n'etait plus un simple morceau d'acier, c'etait un serpent qui
prenait toutes ses formes
|