ecrepites avant six
mois; donc, elles seront mortes et oubliees dans le delai que je
vous assigne.
-- Je crois que vous me jugiez mieux tout a l'heure, madame,
repliqua le jeune homme, quand vous disiez que, sur nous autres de
la maison de Buckingham, le temps n'a pas de prise.
-- Silence! oh! silence! fit la reine en embrassant le duc sur le
front avec une tendresse qu'elle ne put reprimer; allez! allez! ne
m'attendrissez point, ne vous oubliez plus! Je suis la reine, vous
etes sujet du roi d'Angleterre; le roi Charles vous attend; adieu,
Villiers! _farewell_, Villiers!
-- _For ever!_ repliqua le jeune homme.
Et il s'enfuit en devorant ses larmes. Anne appuya ses mains sur
son front; puis, se regardant au miroir:
-- On a beau dire, murmura-t-elle, la femme est toujours jeune; on
a toujours vingt ans dans quelque coin du coeur.
Chapitre XCIII -- Ou sa Majeste Louis XIV ne trouve Melle de La
Valliere ni assez riche, ni assez jolie pour un gentilhomme du
rang du vicomte de Bragelonne
Raoul et le comte de La Fere arriverent a Paris le soir du jour ou
Buckingham avait eu cet entretien avec la reine mere. A peine
arrive, le comte fit demander par Raoul une audience au roi.
Le roi avait passe une partie de la journee a regarder avec Madame
et les dames de la cour des etoffes de Lyon dont il faisait
present a sa belle-soeur. Il y avait eu ensuite diner a la cour,
puis jeu, et, selon son habitude, le roi, quittant le jeu a huit
heures, avait passe dans son cabinet pour travailler avec
M. Colbert et M. Fouquet.
Raoul etait dans l'antichambre au moment ou les deux ministres
sortirent, et le roi l'apercut par la porte entrebaillee.
-- Que veut M. de Bragelonne? demanda-t-il.
Le jeune homme s'approcha.
-- Sire, repliqua-t-il, une audience pour M. le comte de La Fere,
qui arrive de Blois avec grand desir d'entretenir Votre Majeste.
-- J'ai une heure avant le jeu et mon souper, dit le roi. M. de La
Fere est-il pret?
-- M. le comte est en bas, aux ordres de Votre Majeste.
-- Qu'il monte.
Cinq minutes apres, Athos entrait chez Louis XIV, accueilli par le
maitre avec cette gracieuse bienveillance que Louis, avec un tact
au-dessus de son age, reservait pour s'acquerir les hommes que
l'on ne conquiert point avec des faveurs ordinaires.
-- Comte, dit le roi, laissez-moi esperer que vous venez me
demander quelque chose.
-- Je ne le cacherai point a Votre Majeste, repliqua le comte; je
viens en
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