vous
prefererait quelqu'un, frequenterait quelqu'un? Prenez-y garde,
Philippe, vous exagerez ses torts; a force de vouloir prouver, on
ne prouve rien.
Le prince, effarouche du serieux de sa mere, voulut repondre, mais
il ne put que balbutier quelques paroles inintelligibles.
-- Voila que vous reculez, dit Anne d'Autriche, j'aime mieux cela;
c'est une reconnaissance de vos torts.
-- Non! s'ecria Philippe, non, je ne recule pas, et je vais le
prouver. J'ai dit preferences, n'est-ce pas? j'ai dit
frequentations, n'est-ce pas? Eh bien! ecoutez.
Anne d'Autriche s'appreta complaisamment a ecouter avec ce plaisir
de commere que la meilleure femme, que la meilleure mere, fut-elle
reine, trouve toujours dans son immixtion a de petites querelles
de menage.
-- Eh bien! reprit Philippe, dites-moi une chose.
-- Laquelle?
-- Pourquoi ma femme a-t-elle conserve une cour anglaise? Dites!
Et Philippe se croisa les bras en regardant sa mere, comme s'il
eut ete convaincu qu'elle ne trouverait rien a repondre a ce
reproche.
-- Mais, reprit Anne d'Autriche, c'est tout simple, parce que les
Anglais sont ses compatriotes, parce qu'ils ont depense beaucoup
d'argent pour l'accompagner en France, et qu'il serait peu poli,
peu politique meme, de congedier brusquement une noblesse qui n'a
recule devant aucun devouement, devant aucun sacrifice.
-- Eh! ma mere, le beau sacrifice, en verite, que de se deranger
d'un vilain pays pour venir dans une belle contree, ou l'on fait
avec un ecu plus d'effet qu'autre part avec quatre! Le beau
devouement, n'est-ce pas, que de faire cent lieues pour
accompagner une femme dont on est amoureux?
-- Amoureux, Philippe? Songez-vous a ce que vous dites?
-- Parbleu!
-- Et qui donc est amoureux de Madame?
-- Le beau duc de Buckingham... N'allez-vous pas aussi me defendre
celui la, ma mere?
Anne d'Autriche rougit et sourit en meme temps. Ce nom de duc de
Buckingham lui rappelait a la fois de si doux et de si tristes
souvenirs!
-- Le duc de Buckingham? murmura-t-elle.
-- Oui, un de ces mignons de couchette, comme disait mon grand-
pere Henri IV.
-- Les Buckingham sont loyaux et braves, dit courageusement Anne
d'Autriche.
-- Allons! bien; voila ma mere qui defend contre moi le galant de
ma femme! s'ecria Philippe tellement exaspere que sa nature frele
en fut ebranlee jusqu'aux larmes.
-- Mon fils! mon fils! s'ecria Anne d'Autriche, l'expression n'est
pas digne de vous. Vot
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