valeresque et de courage entreprenant qui
ressortaient de ton caractere. Je te parlai de vivre et de souffrir,
d'accepter tous les maux et de ne faire plier a aucune des lois de ce
monde l'amour de la justice. Je ne trouvai pas necessaire de t'en dire
davantage: tu avais dans le caractere des particularites que le monde
eut appelees defauts, et que je respectai comme les consequences d'un
temperament hardi et genereux. J'ai horreur de ce temperament de
convention que la societe fait aux femmes, et qui est le meme pour
toutes. Le bon coeur sincere et ingenu de Fernande se revolta contre
ce joug, et je l'ai aimee a cause de sa haine pour la pedanterie et la
faussete de son sexe. Mais cette forte education que je n'avais pas
craint de te donner, je n'aurais jamais ose l'essayer avec Fernande;
elle s'etait fait a elle-meme un monde d'illusions tel que se le font
les femmes dont l'ame aimante veut resister au bandeau fletrissant
du prejuge; elle avait ce caractere adorable, mais funeste, que l'on
appelle romanesque, et qui consiste a ne voir les choses ni comme elles
sont dans la societe, ni comme elles sont dans la nature; elle croyait
a un amour eternel, a un repos que rien ne devait troubler. Un instant
j'eus envie d'essayer son courage et de lui dire qu'elle se trompait;
mais ce courage me manqua a moi-meme. Comment aurais-je pu, lorsqu'elle
m'appelait son Messie, lorsqu'elle aussi, a dix-sept ans, me traitait en
genie de conte feerique, comme toi a dix ans, me resoudre a lui dire:
"Le repos n'existe pas, l'amour n'est qu'un reve de quelques annees au
plus; l'existence que je t'offre de partager avec moi sera penible et
douloureuse, comme toutes les existences de ce monde!" J'essayai bien de
le lui faire comprendre lorsqu'elle me demanda, enfant qu'elle est! le
serment d'un amour eternel. Elle feignit d'accepter tous les dangers de
l'avenir, elle se persuada du moins qu'elle les acceptait; mais je vis
bien qu'elle n'y croyait pas. Son decouragement et sa consternation me
prouvent assez maintenant qu'elle n'avait pas prevu les plus simples
contrarietes de la vie ordinaire. Eh! que ferai-je aujourd'hui? Irai-je
lui parler en pedagogue de souffrance, de resignation et de silence?
Irai-je tout a coup la reveiller au milieu de son reve et lui dire: "Tu
es trop jeune, viens a moi qui suis vieux, afin que je te vieillisse?
Voila que ton amour s'en va; il en devait etre ainsi, et il en sera de
meme de tous les bonheurs de ta vie!"
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