jours, les
grands hommes dans les lettres, quand bien meme, par leurs memoires
ou leurs confessions poetiques, ils seraient moins empresses d'aller
au-devant des revelations personnelles, pourraient encore mourir, fort
certains de ne point manquer apres eux de demonstrateurs, d'analystes et
de biographes. Il n'en a pas ete toujours ainsi; et lorsque nous venons
a nous enquerir de la vie, surtout de l'enfance et des debuts de nos
grands ecrivains et poetes du dix-septieme siecle, c'est a grand'peine
que nous decouvrons quelques traditions peu authentiques, quelques
anecdotes douteuses, dispersees dans les _Ana_. La litterature et la
poesie d'alors etaient peu personnelles; les auteurs n'entretenaient
guere le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres
affaires; les biographes s'etaient imagine, je ne sais pourquoi, que
l'histoire d'un ecrivain etait tout entiere dans ses ecrits, et leur
critique superficielle ne poussait pas jusqu'a l'homme au fond du poete.
D'ailleurs, comme en ce temps les reputations etaient lentes a se faire,
et qu'on n'arrivait que tard a la celebrite, ce n'etait que bien
plus tard encore, et dans la vieillesse du grand homme, que quelque
admirateur empresse de son genie, un Brossette, un Monchesnay, s'avisait
de penser a sa biographie; ou encore cet historien etait quelque parent
pieux et devoue, mais trop jeune pour avoir bien connu la jeunesse de
son auteur, comme Fontenelle pour Corneille, et Louis Racine pour son
pere. De la, dans l'histoire de Corneille par son neveu, dans celle de
Racine par son fils, mille ignorances, mille inexactitudes qui sautent
aux yeux, et en particulier une legerete courante sur les premieres
annees litteraires, qui sont pourtant les plus decisives.
Lorsqu'on ne commence a connaitre un grand homme que dans le fort de sa
gloire, on ne s'imagine pas qu'il ait jamais pu s'en passer, et la chose
nous parait si simple, que souvent on ne s'inquiete pas le moins du
monde de s'expliquer comment cela est advenu; de meme que, lorsqu'on le
connait des l'abord et avant son eclat, on ne soupconne pas d'ordinaire
ce qu'il devra etre un jour: on vit aupres de lui sans songer a le
regarder, et l'on neglige sur son compte ce qu'il importerait le plus
d'en savoir. Les grands hommes eux-memes contribuent souvent a fortifier
cette double illusion par leur facon d'agir: jeunes, inconnus, obscurs,
ils s'effacent, se taisent, eludent l'attention et n'affectent aucun
rang, parc
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