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la cour a l'aurore dans la rosee et parfument de thym leur banquet,
c'est la Beauce, la Sologne, la Champagne, la Picardie; j'en reconnais
les fermes avec leurs mares, avec les basses-cours et les colombiers;
La Fontaine avait bien observe ces pays, sinon en maitre des
eaux-et-forets, du moins en poete; il y etait ne, il y avait vecu
longtemps, et, meme apres qu'il se fut fixe dans la capitale, il
retournait chaque annee vers l'automne a Chateau-Thierry, pour y visiter
son bien et le vendre en detail; car _Jean_, comme on sait, _mangeait le
fonds avec le revenu._
Lorsque tout le bien de La Fontaine fut dissipe et que la mort soudaine
de Madame l'eut prive de la charge de gentilhomme qu'il remplissait
aupres d'elle, madame de La Sabliere le recueillit dans sa maison et l'y
soigna pendant plus de vingt ans. Abandonne dans ses moeurs, perdu de
fortune, n'ayant plus ni feu, ni lieu, ce fut pour lui et pour son
talent une inestimable ressource que de se trouver maintenu, sous les
auspices d'une femme aimable, au sein d'une societe spirituelle et de
bon gout, avec toutes les douceurs de l'aisance. Il sentit vivement le
prix de ce bienfait; et cette inviolable amitie, familiere a la fois
et respectueuse, que la mort seule put rompre, est un des sentiments
naturels qu'il reussit le mieux a exprimer. Aux pieds de madame de
La Sabliere et des autres femmes distinguees qu'il celebrait en les
respectant, sa muse, parfois souillee, reprenait une sorte de purete
et de fraicheur, que ses gouts un peu vulgaires, et de moins en moins
scrupuleux avec l'age, ne tendaient que trop a affaiblir. Sa vie, ainsi
ordonnee dans son desordre, devint double, et il en fit deux parts:
l'une, elegante, animee, spirituelle, au grand jour, bercee entre les
jeux de la poesie, et les illusions du coeur; l'autre, obscure et
honteuse, il faut le dire, et livree a ces egarements prolonges des sens
que la jeunesse embellit du nom de volupte, mais qui sont comme un vice
au front du vieillard. Madame de La Sabliere elle-meme, qui reprenait La
Fontaine, n'avait pas ete toujours exempte de passions humaines et de
faiblesses selon le monde; mais lorsque l'infidelite du marquis de La
Fare lui eut laisse le coeur libre et vide, elle sentit que nul autre
que Dieu ne pouvait desormais le remplir, et elle consacra ses dernieres
annees aux pratiques les plus actives de la charite chretienne. Cette
conversion, aussi sincere qu'eclatante, eut lieu en 1683. La Fontaine
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