eviens volontiers et je m'en tiens sur lui a ce
jugement de La Bruyere dans son Discours de reception a l'Academie: "Un
autre, plus egal que Marot et plus poete que Voiture, a le jeu, le tour
et la naivete de tous les deux; il instruit en badinant, persuade aux
hommes la vertu par l'organe des betes, eleve les petits sujets jusqu'au
sublime: homme unique dans son genre d'ecrire, toujours original, soit
qu'il invente, soit qu'il traduise; qui a ete au dela de ses modeles,
modele lui-meme difficile a imiter."--Voir aussi le joli theme latin de
Fenelon a l'usage du duc de Bourgogne sur la mort de La Fontaine, _in
Fontani mortem_. Tout y est indique, meme le _molle atque facetum_, qui
n'est autre que notre chere reverie.
RACINE
I
Les grands poetes, les poetes de genie, independamment des genres, et
sans faire acception de leur nature lyrique, epique ou dramatique,
peuvent se rapporter a deux familles glorieuses qui, depuis bien des
siecles, s'entremelent et se detronent tour a tour, se disputent
la preeminence en renommee, et entre lesquelles, selon les temps,
l'admiration des hommes s'est inegalement repartie. Les poetes
primitifs, fondateurs, originaux sans melange, nes d'eux-memes et fils
de leurs oeuvres, Homere, Pindare, Eschyle, Dante et Shakspeare, sont
quelquefois sacrifies, preferes le plus souvent, toujours opposes
aux genies studieux, polis, dociles, essentiellement educables et
perfectibles, des epoques moyennes. Horace, Virgile, le Tasse, sont les
chefs les plus brillants de cette famille secondaire, reputee, et avec
raison, inferieure a son ainee, mais d'ordinaire mieux comprise de tous,
plus accessible et plus cherie. Parmi nous, Corneille et Moliere s'en
detachent par plus d'un cote; Boileau et Racine y appartiennent tout
a fait et la decorent, surtout Racine, le plus merveilleux, le plus
accompli en ce genre, le plus venere de nos poetes. C'est le propre
des ecrivains de cet ordre d'avoir pour eux la presque unanimite des
suffrages, tandis que leurs illustres adversaires qui, plus hauts qu'eux
en merite, les dominent meme en gloire, sont a chaque siecle remis en
question par une certaine classe de critiques. Cette difference de
renommee est une consequence necessaire de celle des talents. Les
uns veritablement predestines et divins, naissent avec leur lot, ne
s'occupent guere a le grossir grain a grain en cette vie, mais le
dispensent avec profusion et comme a pleines mains en leurs oeuvres; car
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