qui succederent aux trente annees
_dignes d'envie_, Rousseau, successivement protege du comte du Luc,
du prince Eugene, du duc d'Aremberg, dut travailler sur lui-meme pour
meriter ces faveurs dont il vivait et retablir sa reputation compromise.
Dans l'insignifiante correspondance qu'il entretenait avec d'Olivet,
Brossette, Des Fontaines et M. Boutet, on remarque un grand etalage
de principes religieux, moraux, et un caractere anti-philosophique
tres-prononce. En supposant cette conversion sincere, on s'etonne que
Rousseau n'ait pas plus tire parti pour sa poesie de cette nature de
sentiments; c'etait peut-etre en effet la seule corde lyrique qui fut
capable de vibrer en ces temps-la. Les evenements exterieurs degoutaient
par leur petitesse et leur pauvrete; la guerre se faisait miserablement
et meme sans l'eclat des desastres; les querelles religieuses etaient
sottes, criardes, sans eloquence, quoique persecutrices; les moeurs,
infames et platement hideuses: c'etait une societe et un trone
sourdement en proie aux vers et a la pourriture. Ce qu'il y avait de
plus clair, c'est que l'ordre ancien deperissait, que la religion etait
en peril, et qu'on se precipitait dans un avenir mauvais et fatal. Voila
ce que sentaient et disaient du moins les partisans et les debris du
dernier regne, M. Daguesseau et Racine fils par exemple. Or, sans faire
d'hypothese gratuite, sans demander aux hommes plus que leur siecle ne
comporte, on concoit, ce me semble, dans cette atmosphere de souvenirs
et d'affections, une ame tendre, chaste, austere, effrayee de la
contagion croissante et du debordement philosophique, fidele au culte de
la monarchie de Louis XIV, assez eclairee pour degager la religion du
jansenisme, et cette ame, alarmee, avant l'orage, de pressentiments
douloureux, et gemissant avec une douceur triste; quelque chose en un
mot comme Louis Racine, d'aussi honnete, et de plus fort en talent et en
lumieres. Rousseau manqua a cette mission, dont il n'etait pas digne. Il
avait recu comme une lettre morte les traditions du regne qui finissait;
il s'y attacha obstinement; ses antipathies litteraires et sa jalousie
contre les talents rivaux l'y repousserent chaque jour de plus en plus;
il tint pour le dernier siecle, parce que le _petit Arouet_ etait du
nouveau. Dans les poesies a la mode, il etait bien plus choque des
mauvaises rimes que du mauvais gout et des mauvais principes. De la
sorte, chez lui, nul sentiment vrai du passe non pl
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