rs oeuvres, nous ne nous soucions pas de
tirer quelques etincelles plus ou moins vives, de faire jouer a l'oeil
quelques reflets de surface plus ou moins capricieux. C'est une vue
essentiellement logique qui nous mene a joindre ces noms, et parce que,
des deux idees poetiques dont ils sont les types admirables, l'une,
sitot qu'on l'approfondit, appelle l'autre et en est le complement. Une
voix pure, melodieuse et savante, un front noble et triste, le genie
rayonnant de jeunesse, et, parfois, l'oeil voile de pleurs; la volupte
dans toute sa fraicheur et sa decence; la nature dans ses fontaines et
ses ombrages; une flute de buis, un archet d'or, une lyre d'ivoire; le
beau pur, en un mot, voila Andre Chenier. Une conversation brusque,
franche et a saillies; nulle preoccupation d'art, nul _quant-a-soi_; une
bouche de satyre aimant encore mieux rire que mordre; de la rondeur,
du bon sens; une malice exquise, par instants une amere eloquence; des
recits enfumes de cuisine, de taverne et de mauvais lieux; aux mains, en
guise de lyre, quelque instrument bouffon, mais non criard; en un mot,
du laid et du grotesque a foison, c'est ainsi qu'on peut se figurer en
gros Mathurin Regnier. Place a l'entree de nos deux principaux siecles
litteraires, il leur tourne le dos et regarde le seizieme; il y tend
la main aux aieux gaulois, a Montaigne, a Ronsard, a Rabelais, de meme
qu'Andre Chenier, jete a l'issue de ces deux memes siecles classiques,
tend deja les bras au notre, et semble le frere aine des poetes
nouveaux. Depuis 1613, annee ou Regnier mourut, jusqu'en 1782, annee
ou commencerent les premiers chants d'Andre Chenier, je ne vois, en
exceptant les dramatiques, de poete parent de ces deux grands hommes que
La Fontaine, qui en est comme un melange agreablement tempere. Rien donc
de plus piquant et de plus instructif que d'etudier dans leurs rapports
ces deux figures originales, a physionomie presque contraire, qui
se tiennent debout en sens inverse, chacune a un isthme de notre
litterature centrale, et, comblant l'espace et la duree qui les
separent, de les adosser l'une a l'autre, de les joindre ensemble par
la pensee, comme le Janus de notre poesie. Ce n'est pas d'ailleurs en
differences et en contrastes que se passera toute cette comparaison:
Regnier et Chenier ont cela de commun qu'ils sont un peu en dehors de
leurs epoques chronologiques, le premier plus en arriere, le second plus
en avant, et qu'ils echappent par independance
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