fle et roule comme un grand fleuve.
Quant a la forme, a l'allure du vers dans Regnier et dans Chenier, elle
nous semble, a peu de chose pres, la meilleure possible, a savoir,
curieuse sans recherche et facile sans relachement, tour a tour
oublieuse et attentive, et temperant les agrements severes par les
graces negligeantes. Sur ce point, ils sont l'un et l'autre bien
superieurs a La Fontaine, chez qui la forme rythmique manque presque
entierement et qui n'a pour charme, de ce cote-la, que sa negligence.
Que si l'on nous demande maintenant ce que nous pretendons conclure de
ce long parallele que nous aurions pu prolonger encore; lequel d'Andre
Chenier ou de Regnier nous preferons, lequel merite la palme, a notre
gre; nous laisserons au lecteur le soin de decider ces questions et
autres pareilles, si bon lui semble. Voici seulement une reflexion
pratique qui decoule naturellement de ce qui precede, et que nous lui
soumettons: Regnier clot une epoque; Chenier en ouvre une autre. Regnier
resume en lui bon nombre de nos trouveres, Villon, Marot, Rabelais; il
y a dans son genie toute une partie d'epaisse gaiete et de bouffonnerie
joviale, qui tient aux moeurs de ces temps, et qui ne saurait etre
reproduite de nos jours. Chenier est le revelateur d'une poesie
d'avenir, et il apporte au monde une lyre nouvelle; mais il y a chez lui
des cordes qui manquent encore, et que ses successeurs ont ajoutees
ou ajouteront. Tous deux, complets en eux-memes et en leur lieu, nous
laissent aujourd'hui quelque chose a desirer. Or il arrive que chacun
d'eux possede precisement une des principales qualites qu'on regrette
chez l'autre: celui-ci, la tournure d'esprit reveuse et les _extases
choisies_; celui-la, le sentiment profond et l'expression vivante de la
realite: compares avec intelligence, rapproches avec art, ils tendent
ainsi a se completer reciproquement. Sans doute, s'il fallait se decider
entre leurs deux points de vue pris a part, et opter pour l'un a
l'exclusion de l'autre, le type d'Andre Chenier pur se concevrait encore
mieux maintenant que le type pur de Regnier; il est meme tel esprit
noble et delicat auquel tout accommodement, fut-il le mieux menage,
entre les deux genres, repugnerait comme une mesalliance, et qui aurait
difficilement bonne grace a le tenter. Pourtant, et sans vouloir eriger
notre opinion en precepte, il nous semble que comme en ce bas monde,
meme pour les reveries les plus ideales, les plus fraiches et les p
|