ensations et de mes pensees d'autrefois! Etait-ce
seulement que les enfants s'amusent de tout, et que j'etais devenu plus
severe avec moi-meme?--Mais la purete d'ame, mais les croyances encore
naives, mais les reves qui embrassent tout, parce qu'ils ne reposent sur
rien, c'en etait deja fait pour moi. Je ne voyais qu'un present dont
il fallait jouir, et jouir seul, parce que je n'avais ni richesses, ni
bonheur a faire partager a personne, parce que l'avenir ne m'offrait que
des jouissances deja usees avec des moyens plus restreints; et ne pas
croitre dans la vie, c'est dechoir.--Et cependant, du moins, tout ce que
je voyais alors agissait sur moi pour me ranimer; tout me faisait fete
dans la nature; c'etait vraiment un concert de la terre, des cieux, de
la mer, des forets et des hommes; c'etait une harmonie ineffable, qui
me penetrait, que je meditais et que je respirais a loisir; et quand je
croyais y avoir dignement mele ma voix a mon tour, par un travail et
par un succes egal a mes forces et au ton du choeur qui m'environnait,
j'etais heureux;--oui, j'etais heureux, quoique seul; heureux par la
nature et avec Dieu. Et j'ai pu etre assez faible pour livrer plus de la
moitie de ce temps aux autres, pour ne pas m'etablir definitivement dans
cette felicite. La peur de quelque depense m'a retenu, et la vanite, et
pis encore, m'ont emporte plus d'argent qu'il n'en eut fallu pour jouir
en roi de ce que j'avais sous les yeux.--La societe?...--moi qui ne vaux
rien que seul et inconnu, moi qui n'aime et n'aimerai peut-etre
plus jamais rien que la solitude et _le sombre plaisir d'un coeur
melancolique_.--Mais il faudrait des evenements et des sentiments pour
appuyer cela; il faudrait au moins des etudes serieuses pour me rendre
temoignage a moi-meme. Un gout vague ne se suffit pas a lui seul, et
c'est pourquoi il est si aise au premier venu de me faire abandonner ce
qui tout a l'heure me semblait ma vie. J'en demeure bien marque assez
profondement au fond de mon ame, et il me reste toujours une part qu'on
ne peut ni corrompre ni m'enlever. Est-ce par la que j'echapperai, ou ce
secret parfum lui-meme s'evaporera-t-il?"
[Note 76: M. Jacques Coste, qui vendit au ministere les _Tablettes
universelles_ en 1823 et qui fonda ensuite le journal _le Temps_.]
Cette longue traversee, le manque absolu de livres et de conversation,
son ignorance de l'astronomie qui lui fermait l'etude du ciel, tout
contribuait a developper demesurement ch
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