des progres d'avenir, il serait triste et degoute dans le
present. Son stoicisme se serait refugie encore plus avant dans la
contemplation silencieuse des choses; la realite pratique, indigne de le
passionner, ne lui apparaitrait de jour en jour davantage que sous le
cote mediocre des interets et du bien-etre; il s'y accommoderait en
sage, avec moderation; mais cela seul est deja trop: la tiedeur s'ensuit
a la longue; fatigue d'enthousiasme, une sorte d'ironie involontaire,
comme chez beaucoup d'esprits superieurs, l'aurait peut-etre gagne avec
l'age: il a mieux fait de bien mourir!--Disons seulement, en usant d'un
mot du choeur antique: "Ah! si les belles et bonnes ames comme la sienne
pouvaient avoir deux jeunesses[83]!"
[Note 82: Ce mot est dur pour la monarchie de Juillet; je ne l'aurais
pas ecrit plus tard; et pourtant il exprime un sentiment que bien des
hommes de ma generation partagerent. Et cette monarchie, malgre ses
merites raisonnes, ne put jamais s'absoudre de cette tache originelle
qui la fit sembler peureuse et circonspecte a l'exces en naissant. On
est coupable en France, quelque interet qu'on allegue, si l'on manque,
faute d'elan, certains moments de grandeur et de gloire qui ne se
retrouvent plus. Il n'est qu'un temps pour la jeunesse: nous avions
lieu, en 1830, d'esperer pour la notre un regime plus actif et plus
genereux que celui de la parole. Nous fumes refoules et nous souffrimes.
La litterature me consola.]
[Note 83: Euripide, _Hercules furens_ (edit. de Boissonade, v. 648).]
Juin 1831.
NOTE.--Bien des annees apres avoir ecrit cette Notice, j'ai recu de M.
Geruzez, heritier des papiers de Farcy, la communication d'une note qui
me concernait moi-meme, et qui m'a montre que Farcy avait bien voulu
s'occuper de mes essais poetiques d'alors: il y juge _Joseph Delorme_ et
_les Consolation_, d'une maniere psychologique et morale qui est a lui.
Ce jugement est assez favorable pour que je m'en honore, et il est a la
fois assez severe pour que j'ose le reproduire ici:
"Dans le premier ouvrage (dans _Joseph Delorme_), dit-il, c'etait une
ame fletrie par des etudes trop positives et par les habitudes des sens
qui emportent un jeune homme timide, pauvre, et en meme temps delicat et
instruit; car ces hommes ne pouvant se plaire a une liaison continuee ou
on ne leur rapporte en echange qu'un esprit vulgaire et une ame faconnee
a l'image de cet esprit, ennuyes et ennuyeux aupres de telles femmes,
et d'
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