l'allure. La tete haute et un peu chauve, le front
vaste, les tempes decouvertes, l'oeil en feu ou humide d'une grosse
larme, le cou nu et, comme il l'a dit, _debraille, le dos bon et rond_,
les bras tendus vers l'avenir; melange de grandeur et de trivialite,
d'emphase et de naturel, d'emportement fougueux et d'humaine sympathie;
tel qu'il etait, et non tel que l'avaient gate Falconet et Vanloo, je me
le figure dans le mouvement theorique du siecle, precedant dignement
ces hommes d'action qui ont avec lui un air de famille, ces chefs d'un
ascendant sans morgue, d'un heroisme souille d'impur, glorieux malgre
leurs vices, gigantesques dans la melee, au fond meilleurs que leur vie:
Mirabeau, Danton, Kleber.
Denis Diderot etait ne a Langres, en octobre 1713, d'un pere coutelier.
Depuis deux cents ans cette profession se transmettait par heritage dans
la famille avec les humbles vertus, la piete, le sens et l'honneur des
vieux temps. Le jeune Denis, l'aine des enfants, fut d'abord destine a
l'etat ecclesiastique, pour succeder a un oncle chanoine. On le mit de
bonne heure aux Jesuites de la ville, et il y fit de rapides progres.
Ces premieres annees, cette vie de famille et d'enfance, qu'il aimait a
se rappeler et qu'il a consacree en plusieurs endroits de ses ecrits,
laisserent dans sa sensibilite de profondes empreintes. En 1760, au
Grandval, chez le baron d'Holbach, partage entre la societe la plus
seduisante et les travaux de philosophie ancienne qu'il redigeait pour
l'Encyclopedie, ces circonstances d'autrefois lui revenaient a l'esprit
avec larmes; il remontait par la reverie le cours de sa _triste et
tortueuse compatriote_, la Marne, qu'il retrouvait la, sous ses yeux, au
pied des coteaux de Chenevieres et de Champigny; son coeur nageait dans
les souvenirs, et il ecrivait a son amie, mademoiselle Voland: "Un des
moments les plus doux de ma vie, ce fut, il y a plus de trente ans,
et je m'en souviens comme d'hier, lorsque mon pere me vit arriver du
college, les bras charges des prix que j'avais remportes, et les epaules
chargees des couronnes qu'on m'avait decernees, et qui, trop larges pour
mon front, avaient laisse passer ma tete. Du plus loin qu'il m'apercut,
il laissa son ouvrage, il s'avanca sur sa porte et se mit a pleurer.
C'est une belle chose qu'un homme de bien et severe, qui pleure!" Madame
de Vandeul, fille unique et si cherie de Diderot, nous a laisse quelques
anecdotes sur l'enfance de son pere, que nous
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