Un attrait tout
particulier, des qu'on l'a entrevu, invite a s'informer de lui et a
desirer de l'approfondir. Sa physionomie ouverte et bonne, la politesse
decente de son langage, laissent transpirer a son insu une sensibilite
interieure profondement tendre, et, sous la generalite de sa morale
et la multiplicite de ses recits, il est aise de saisir les traces
personnelles d'une experience bien douloureuse. Sa vie, en effet, fut
pour lui le premier de ses romans et comme la matiere de tous les
autres. Il naquit, sur la fin du XVIIe siecle, en avril 1697, a Hesdin
dans l'Artois, d'une honnete famille et meme noble; son pere etait
procureur du roi au bailliage. Le jeune Prevost fit ses premieres etudes
chez les jesuites de sa ville natale, et plus tard alla doubler sa
rhetorique au college d'Harcourt, a Paris. On le soigna fort a cause des
rares talents qu'il produisit de bonne heure, et les jesuites l'avaient
deja entraine au noviciat lorsqu'un jour (il avait seize ans), les idees
de monde l'ayant assailli, il quitta tout pour s'engager en qualite de
simple volontaire. La derniere guerre de Louis XIV tirait a sa fin; les
emplois a l'armee etaient devenus tres-rares; mais il avait l'esperance,
commune a une infinite de jeunes gens, d'etre avance aux premieres
occasions; et, comme lui-meme il l'a dit par la suite en reponse a ceux
qui calomniaient cette partie de sa vie, "il n'etoit pas si disgracie
du cote de la naissance et de la fortune qu'il ne put esperer de
faire heureusement son chemin." Las pourtant d'attendre, et la guerre
d'ailleurs finissant, il retourna a La Fleche chez les peres jesuites,
qui le recurent avec toutes sortes de caresses; il en fut seduit au
point de s'engager presque definitivement dans l'Ordre; il composa, en
l'honneur de saint Francois Xavier, une ode qui ne s'est pas conservee.
Mais une nouvelle inconstance le saisit, et, sortant encore une fois de
la retraite, il reprit le metier des armes _avec plus du distinction_,
dit-il, _et d'agrement_, avec quelque grade par consequent, lieutenance
ou autre. Les details manquent sur cette epoque critique de sa vie[95].
On n'a qu'une phrase de lui qui donne suffisamment a penser et qui
revele la teinte a la direction de ses sentiments durant les orages de
sa premiere jeunesse: "Quelques annees se passerent, dit-il (a ce metier
des armes); vif et sensible au plaisir, j'avouerai, dans les termes
de M. de Cambrai, que la sagesse demandoit bien des precaution
|