cheresse et dans la langueur; il faut, si je
veux etre heureux dans la religion, que je conserve dans toute sa force
l'impression de grace qui m'y a amene; il faut que je veille sans cesse
a eloigner tout ce qui pourroit l'affoiblir. Je n'apercois que trop tous
les jours de quoi je redeviendrois capable, si je perdois un moment
de vue la grande regle, ou meme si je regardois avec la moindre
complaisance certaines images qui ne se presentent que trop souvent a
mon esprit, et qui n'auroient encore que trop de force pour me seduire,
quoiqu'elles soient a demi effacees. Qu'on a de peine, mon cher frere,
a reprendre un peu de vigueur quand on s'est fait une habitude de sa
foiblesse; et qu'il en coute a combattre pour la victoire, quand on a
trouve longtemps de la douceur a se laisser vaincre!"
[Note 95: Le biographe de l'edition de 1810, qui est le meme que
celui de l'edition de 1783, a copie sur ce point le biographe qui a
publie les _Pensees de l'abbe Prevost_ en 1764, et qui lui-meme s'en
etait tenu aux explications inserees dans le nombre 47 du _Pour et
Contre_.--On a imprime dans je ne sais quel livre _d'Ana_, que Prevost
etant tombe amoureux d'une dame, a Hesdin probablement, son pere, qui
voyait cette intrigue de mauvais oeil, alla un soir a la porte de la
dame pour morigener son fils au passage, et que celui-ci, dans la
rapidite du mouvement qu'il fit pour s'echapper, heurta si violemment
son pere que le vieillard mourut des suites du coup. Si ce n'est pas
la une calomnie atroce, c'est un conte, et Prevost a bien assez
de catastrophes dans sa vie sans celle-la. (Voir dans la _Decade
philosophique_ du 20 thermidor an XI une lettre de M. L. Prevost
d'Exiles, qui dement et refute peremptoirement cette anecdote sur son
grand-oncle).]
L'ideal de l'abbe Prevost, son reve des sa jeunesse, le modele de
felicite vertueuse qu'il se proposait et qu'ajournerent longtemps pour
lui des erreurs trop vives, c'etait un melange d'etude et de monde, de
religion et d'honnete plaisir, dont il s'est plu en beaucoup d'occasions
a flatter le tableau. Une fois engage dans des liens indissolubles, il
tacha que toute image trop emouvante et trop propice aux desirs fut
soigneusement bannie de ce plan un peu chimerique, ou le devoir etait la
mesure de la volupte. On aime a s'etendre avec lui, en plus d'un
endroit des _Memoires d'un Homme de qualite_ et de _Cleveland_, sur ces
promenades meditatives, ces saintes lectures dans la solitude, au m
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