connaissances, a cette facilite multiple acquise de bonne heure dans
la detresse, grace surtout a ce talent moral de rallier autour de
lui, d'inspirer et d'exciter ses travailleurs, il termina cet edifice
audacieux, d'une masse a la fois menacante et reguliere: si l'on cherche
le nom de l'architecte, c'est le sien qu'il faut y lire. Diderot savait
mieux que personne les defauts de son oeuvre; il se les exagerait meme,
eut egard au temps, et se croyant ne pour les arts, pour la geometrie,
pour le theatre, il deplorait mainte fois sa vie engagee et perdue dans
une affaire d'un profit si mince et d'une gloire si melee. Qu'il fut
admirablement organise pour la geometrie et les arts, je ne le nie pas;
mais certes, les choses etant ce qu'elles etaient alors, une grande
revolution, comme il l'a lui-meme remarque[89], s'accomplissant dans les
sciences, qui descendaient de la haute geometrie et de la contemplation
metaphysique pour s'etendre a la morale; aux belles-lettres, a
l'histoire de la nature, a la physique experimentale et a l'industrie;
de plus, les arts au XVIIIe siecle etant faussement detournes de leur
but superieur et rabaisses a servir de porte-voix philosophique ou
d'arme pour le combat; au milieu de telles conditions generales, il
etait difficile a Diderot de faire un plus utile, un plus digne
et memorable emploi de sa faculte puissante qu'en la vouant a
l'Encyclopedie. Il servit et precipita, par cette oeuvre civilisatrice,
la revolution qu'il avait signalee dans les sciences. Je sais d'ailleurs
quels reproches severes et reversibles sur tout le siecle doivent
temperer ces eloges, et j'y souscris entierement; mais l'esprit
antireligieux qui presida a l'Encyclopedie et a toute la philosophie
d'alors ne saurait etre exclusivement juge de notre point de vue
d'aujourd'hui, sans presque autant d'injustice qu'on a droit de lui en
reprocher. Le mot d'ordre, le cri de guerre, _Ecrasons l'infame!_ tout
decisif et inexorable qu'il semble, demande lui-meme a etre analyse et
interprete. Avant de reprocher a la philosophie de n'avoir pas
compris le vrai et durable christianisme, l'intime et reelle doctrine
catholique, il convient de se souvenir que le depot en etait alors
confie, d'une part aux jesuites intrigants et mondains, de l'autre aux
jansenistes farouches et sombres; que ceux-ci, retranches dans les
parlements, pratiquaient des ici-bas leur fatale et lugubre doctrine sur
la grace, moyennant leurs bourreaux, leur quest
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