ications d'atheisme, Raynal dans son _Histoire
des deux Indes_, detournerent a leur profit plus d'une feconde artere de
ce grand fleuve dont ils etaient riverains. Diderot, bon qu'il etait
par nature, prodigue parce qu'il se sentait opulent, tout a tous, se
laissait aller a cette facon de vivre; content de produire des idees, et
se souciant peu de leur usage, il se livrait a son penchant intellectuel
et ne tarissait pas. Sa vie se passa de la sorte, a penser d'abord, a
penser surtout et toujours, puis a parler de ses pensees, a les ecrire
a ses amis, a ses maitresses; a les jeter dans des articles de journal,
dans des articles d'encyclopedie, dans des romans imparfaits, dans des
notes, dans des memoires sur des points speciaux; lui, le genie le plus
synthetique de son siecle, il ne laissa pas de monument.
"Ou plutot ce monument existe, mais par fragments; et, comme un esprit
unique et substantiel est empreint en tous ces fragments epars, le
lecteur attentif, qui lit Diderot comme il convient, avec sympathie,
amour et admiration, recompose aisement ce qui est jete dans un desordre
apparent, reconstruit ce qui est inacheve, et finit par embrasser d'un
coup d'oeil l'oeuvre du grand homme, par saisir tous les traits de cette
figure forte, bienveillante et hardie, coloree par le sourire, abstraite
par le front, aux vastes tempes, au coeur chaud, la plus allemande de
toutes nos tetes, et dans laquelle il entre du Goethe, du Kant et du
Schiller tout ensemble."]
[Note 89: _Interpretation de la Nature_.]
L'atheisme de Diderot, bien qu'il l'affichat par moments avec une
deplorable jactance, et que ses adversaires l'aient trop cruellement
pris au mot, se reduit le plus souvent a la negation d'un Dieu mechant
et vengeur, d'un Dieu fait a l'image des bourreaux de Calas et de La
Barre. Diderot est revenu frequemment sur cette idee, et l'a presentee
sous les formes bienveillantes du scepticisme le moins arrogant. Tantot,
comme dans l'entretien avec la marechale de Broglie, c'est un jeune
Mexicain qui, las de son travail, se promene un jour au bord du grand
Ocean; il voit une planche qui d'un bout trempe dans l'eau et de l'autre
pose sur le rivage; il s'y couche, et, berce par la vague, rasant du
regard l'espace infini, les contes de sa vieille grand'mere sur je ne
sais quelle contree situee au dela et peuplee d'habitants merveilleux
lui repassent en idee comme de folles chimeres; il n'y peut croire, et
cependant le sommeil vient
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