rent de feu qui recoit tous
ceux qui tombent du haut de ces precipices. Tous les chemins et tous les
sentiers se terminent a ces precipices, a l'exception d'un seul, mais
tres-etroit et tres-difficile a reconnoitre, qui aboutit a un pont par
lequel on evite le torrent de feu et l'on arrive a un lieu de surete et
de lumiere... Il y a dans cette ile un nombre infini d'hommes a qui l'on
commande de marcher incessamment. Un vent impetueux les presse et ne
leur permet pas de retarder. On les avertit seulement que tous les
chemins n'ont pour fin que le precipice; qu'il n'y en a qu'un seul ou
ils se puissent sauver, et que cet unique chemin est tres-difficile a
remarquer. Mais, nonobstant ces avertissements, ces miserables, sans
songer a chercher le sentier heureux, sans s'en informer, et comme s'ils
le connoissoient parfaitement, se mettent hardiment en chemin. Ils ne
s'occupent que du soin de leur equipage, du desir de commander aux
compagnons de ce malheureux voyage, et de la recherche de quelque
divertissement qu'ils peuvent prendre en passant. Ainsi ils arrivent
insensiblement vers le bord du precipice, d'ou ils sont emportes dans
ce torrent de feu qui les engloutit pour jamais. Il y en a seulement un
tres-petit nombre de sages qui cherchent avec soin ce sentier, et qui,
l'ayant decouvert, y marchent avec grande circonspection, et, trouvant
ainsi le moyen de passer le torrent, arrivent enfin a un lieu de surete
et de repos." L'image de Nicole n'est pas consolante; au chapitre V du
traite _de la Crainte de Dieu_, on peut chercher une autre scene de
_carnage spirituel_, dans laquelle n'eclate pas moins ce qu'on a droit
d'appeler le _terrorisme de la Grace_: on concoit que Diderot ait trouve
ces doctrines funestes a l'humanite, et qu'il ait voulu faire a son
tour, sous image d'ile et d'ocean, une contre-partie au tableau de
Nicole.--Il y a aussi dans Pascal une comparaison du monde avec une ile
deserte, et les hommes y sont egalement de _miserables egares_.]
Diderot a expose ses idees sur la substance, la cause et l'origine des
choses dans l'_Interpretation de la Nature_, sous le couvert de
Baumann, qui n'est autre que Maupertuis, et plus nettement encore dans
l'_Entretien avec d'Alembert_ et le _Reve_ singulier qu'il prete a ce
philosophe. Il nous suffira de dire que son materialisme n'est pas un
mecanisme geometrique et aride, mais un vitalisme confus, fecond et
puissant, une fermentation spontanee, incessante, evolutive,
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