ne repeterons pas, et
qui toutes attestent la vivacite d'impressions, la petulance, la bonte
facile de cette jeune et precoce nature. Diderot a cela de particulier
entre les grands hommes du XVIIIe siecle, d'avoir eu une _famille_, une
famille tout a fait bourgeoise, de l'avoir aimee tendrement, de s'y etre
rattache toujours avec effusion, cordialite et bonheur. Philosophe a la
mode et personnage celebre, il eut toujours son bon pere _le forgeron_,
comme il disait, son frere l'abbe, sa soeur la menagere, sa chere
petite fille Angelique; il parlait d'eux tous delicieusement; il ne fut
satisfait que lorsqu'il eut envoye a Langres son ami Grimm embrasser son
vieux pere. Je n'ai guere vu trace de rien de pareil chez Jean-Jacques,
d'Alembert (et pour cause), le comte de Buffon, ou ce meme M. de Grimm,
ou M. Arouet de Voltaire.
Les jesuites chercherent a s'attacher Diderot; il eut une veine
d'ardente devotion; on le tonsura vers douze ans, et on essaya meme un
jour de l'enlever de Langres pour disposer de lui plus a l'aise. Ce
petit evenement decida son pere a l'amener a Paris, ou il le placa au
college d'Harcourt. Le jeune Diderot s'y montra bon ecolier et surtout
excellent camarade. On rapporte que l'abbe de Bernis et lui dinerent
plus d'une fois alors au cabaret a six sous par tete[86]. Ses etudes
finies, il entra chez un procureur, M. Clement de Ris, son compatriote,
pour y etudier le droit et les lois, ce qui l'ennuya bien vite. Ce
degout de la chicane le brouilla avec son pere, qui sentait le besoin
de brider, de mater par l'etude un naturel aussi passionne, et qui le
pressait de faire choix d'un etat quelconque ou de rentrer sous le toit
paternel. Mais le jeune Diderot sentait deja ses forces, et une vocation
irresistible l'entrainait hors des voies communes. Il osa desobeir a ce
bon pere qu'il venerait, et seul, sans appui, brouille avec sa famille
(quoique sa mere le secourut sous main et par intervalles), loge dans un
taudis, dinant toujours a six sous, le voila qui tente de se fonder
une existence d'independance et d'etude; la geometrie et le grec le
passionnent, et il reve la gloire du theatre. En attendant, tous les
genres de travaux qui s'offraient lui etaient bien venus; le metier de
journaliste, comme nous l'entendons, n'existait pas alors, sans quoi
c'eut ete le sien. Un jour, un missionnaire lui commanda six sermons
pour les colonies portugaises, et il les fabriqua. Il essaya de se faire
le precepteur parti
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