ur le rivage,
dominant cet ocean qui remue et varie sans cesse; plus humide, plus
cristalline, plus radieuse au soleil apres chaque tempete. Ceci ne veut
pas dire au moins que la perle et l'ocean d'ou elle est sortie un jour
ne soient pas lies par beaucoup de rapports profonds et mysterieux,
ou, en d'autres termes, que l'art soit du tout independant de la
philosophie, de la science et des revolutions d'alentour. Oh! pour cela,
non; chaque ocean donne ses perles, chaque climat les murit diversement
et les colore; les coquillages du golfe Persique ne sont pas ceux de
l'Islande. Seulement l'art, dans la force de generation qui lui est
propre, a quelque chose de fixe, d'accompli, de definitif, qui cree a un
moment donne et dont le produit ne meurt plus; qui ne varie pas avec les
niveaux; qui n'expire ni ne grossit avec les vagues; qui ne se mesure ni
au poids ni a la brasse, et qui, au sein des courants les plus mobiles,
organise une certaine quantite de touts, grands et petits, dont les plus
choisis et les mieux venus, une fois extraits de la masse flottante,
n'y peuvent jamais rentrer. C'est ce qui doit consoler et soutenir les
artistes jetes en des jours d'orages. Partout il y a moyen pour eux de
produire quelque chose; peu ou beaucoup, l'essentiel est que ce _quelque
chose_ soit le mieux, et porte en soi, precieusement gravee a l'un des
coins, la marque eternelle. Voila ce que nous avions besoin de nous dire
avant de nous remettre, nous, critique litteraire, a l'etude curieuse de
l'art, et a l'examen attentif des grands individus du passe; il nous a
semble que, malgre ce qui a eclate dans le monde et ce qui s'y remue
encore, un portrait de Regnier, de Boileau, de La Fontaine, d'Andre
Chenier, de l'un de ces hommes dont les pareils restent de tout temps
fort rares, ne serait pas plus une puerilite aujourd'hui qu'il y a un
an; et en nous prenant cette fois a Diderot philosophe et artiste, en
le suivant de pres dans son intimite attrayante, en le voyant dire, en
l'ecoutant penser aux heures les plus familieres, nous y avons gagne du
moins, outre la connaissance d'un grand homme de plus, d'oublier pendant
quelques jours l'affligeant spectacle de la societe environnante, tant
de misere et de turbulence dans les masses, un si vague effroi, un si
devorant egoisme dans les classes elevees, les gouvernements sans idees
ni grandeur, des nations heroiques qu'on immole, le sentiment de patrie
qui se perd et que rien de plus large ne
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