les reproduire. Et d'abord, a commencer par
Dieu, _ab Jove principium_, nous trouvons, et avec regret, que cette
magnifique et feconde idee est trop absente de leur poesie, et qu'elle
la laisse deserte du cote du ciel. Chez eux, elle n'apparait meme pas
pour etre contestee; ils n'y pensent jamais, et s'en passent, voila
tout. Ils n'ont assez longtemps vecu, ni l'un ni l'autre, pour arriver,
au sortir des plaisirs, a cette philosophie superieure qui releve et
console. La corde de Lamartine ne vibrait pas en eux. Epicuriens et
sensuels, ils me font l'effet, Regnier, d'un abbe romain, Chenier, d'un
Grec d'autrefois. Chenier etait un paien aimable, croyant a Pales, a
Venus, aux Muses[43]; un Alcibiade candide et modeste, nourri de poesie,
d'amitie et d'amour. Sa sensibilite est vive et tendre; mais, tout en
s'attristant a l'aspect de la mort, il ne s'eleve pas au-dessus des
croyances de Tibulle et d'Horace:
Aujourd'hui qu'au tombeau je suis pret a descendre,
Mes amis, dans vos mains je depose ma cendre.
Je ne veux point, couvert d'un funebre _linceuil_,
Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
Appeles aux accents de l'airain lent et sombre,
De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
Et sous des murs sacres aillent ensevelir
Ma vie et ma depouille, et tout mon souvenir.
[Note 43: Je lis dans les notes d'un voyage d'Italie: "Vers le meme
temps ou se retrouvaient a Pompei toute une ville antique et tout l'art
grec et romain qui en sortait graduellement, piquante coincidence! Andre
Chenier, un poete grec vivant, se retrouvait aussi. En parcourant cet
admirable musee de statuaire antique a Naples, je songeais a lui; la
place de sa poesie est entre toutes ces Venus, ces Ganymedes et
ces Bacchus; c'est la son monde. Sa jeune _Tarentine_ y appartient
exactement, et je ne cessais de l'y voir en figure.--La poesie d'Andre
Chenier est l'accompagnement sur la flute et sur la lyre de tout cet art
de marbre retrouve."]
Il aime la nature, il l'adore, et non-seulement dans ses varietes
riantes, dans ses sentiers et ses buissons, mais dans sa majeste
eternelle et sublime, aux Alpes, au Rhone, aux greves de l'Ocean.
Pourtant l'emotion religieuse que ces grands spectacles excitent en son
ame ne la fait jamais se fondre en priere _sous le poids de l'infini_.
C'est une emotion religieuse et philosophique a la fois, comme Lucrece
et Buffon pouvaient en avoir, comme son ami Le Brun etait capable
d'en ressentir
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