t-etre a mes bourreaux...
Mais tout est precipice. Ils ont eu droit de vivre.
Vivez, amis; vivez contents.
En depit de Bavus soyez lents a me suivre.
Peut-etre en de plus heureux temps
J'ai moi-meme, a l'aspect des pleurs de l'infortune,
Detourne mes regards distraits;
A mon tour aujourd'hui mon malheur importune:
Vivez, amis, vivez en paix[42].
[Note 41: Au livre second des odes de Le Brun, la quinzieme _A un
jeune Ami_ s'adresse evidemment a Andre:
Souviens-toi des moeurs de Byzance;
Digne de ton berceau, maitrise la beaute!...
Et les derniers vers de l'ode indiquent qu'elle fut composee au moment
d'une rupture ou menace de rupture entre les Turcs et les Russes (1787
probablement).]
[Note 42: Il serait dur, mais pas trop invraisemblable, de
conjecturer qu'en ecrivant les vers suivants (voir l'edition d'Eugene
Renduel), Chenier a pu songer au jour ou il se sentit decu et blesse
dans son admiration premiere pour Le Brun:
Ah! j'atteste les Cieux que j'ai voulu le croire,
J'ai voulu dementir et mes yeux et l'histoire;
Mais non: il n'est pas vrai que les coeurs excellents
Soient les seuls en effet ou germent les talents.
Un mortel peut toucher une lyre sublime,
Et n'avoir qu'un coeur faible, etroit, pusillanime,
Inhabile aux vertus qu'il sait si bien chanter,
Ne les imiter point et les faire imiter, etc., etc.
Quoi qu'il en soit, la gloire de Le Brun, dans l'avenir, ne sera
pas separee de celle d'Andre Chenier. On se souviendra qu'il l'aima
longtemps, qu'il le predit, qu'il le gouta en un siecle de peu de
poesie, et qu'il sentit du premier coup que ce jeune homme faisait ce
que lui-meme aurait voulu faire. On lui tiendra compte de ses efforts,
de ses veilles, de sa poursuite infatigable de la gloire, de la
tradition lyrique qu'il soutint avec eclat, de cette flamme interieure
enfin, qui ne lui echappait que par acces, et qui minait sa vie. On
verra en lui un de ces hommes d'essai que la nature lance un peu au
hasard, un des precurseurs aventureux du siecle dont a deja resplendi
l'aurore.
Juillet 1829.
(Voir encore sur Le Brun un article essentiel dans le tome V des
_Causeries du Lundi_)
MATHURIN REGNIER ET ANDRE CHENIER
Hatons-nous de le dire, ce n'est pas ici un rapprochement a antitheses,
un parallele academique que nous pretendons faire. En accouplant deux
hommes si eloignes par le temps ou ils ont vecu, si differents par le
genre et la nature de leu
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