r un poete comme Le Brun, un beau role a remplir au XVIIIe siecle.
Lui-meme en a compris toute la noblesse; il y a constamment vise, et en
a plus d'une fois dessine les principaux traits. C'eut ete d'abord de
vivre a part, loin des coteries et des salons patentes, dans le silence
du cabinet ou des champs; de travailler la, peu soucieux des succes
du jour, pour soi, pour quelques amis de coeur et pour une posterite
indefinie; c'eut ete d'ignorer les tracasseries et les petites guerres
jalouses qui fourmillaient aux pieds de trois ou quatre grands hommes,
d'admirer sincerement, et a leur prix, Montesquieu, Buffon, Jean-Jacques
et Voltaire, sans epouser leurs arriere-pensees ni les antipathies de
leurs sectateurs; et puis, d'accepter le bien, de quelque part qu'il
vint, de garder ses amis, dans quelques rangs qu'ils fussent, et
s'appelassent-ils Clement, Marmontel ou Palissot. Voila ce que concevait
Le Brun, et ce qu'il se proposait en certains moments; mais il fut loin
d'y atteindre. Caustique et irascible, il se montra souvent injuste par
vengeance ou mauvaise humeur. Au lieu de negliger simplement les salons
litteraires et philosophiques, pour vaquer avec plus de liberte a son
genie et a sa gloire, il les attaqua en toute occasion, sans mesure et
en masse. Il se delectait a la satire, et decochait ses traits a Gilbert
ou a Beaumarchais aussi volontiers qu'a La Harpe lui-meme. Une fois,
par sa _Wasprie_, il compromit etrangement sa chastete lyrique, en se
prenant au collet avec Freron. Reconnaissons pourtant que sa conduite
ne fut souvent ni sans dignite ni sans courage. La noble facon dont il
adressa mademoiselle Corneille a Voltaire, la respectueuse independance
qu'il maintint en face de ce monarque du siecle, le soin qu'il mit
toujours a se distinguer de ses plats courtisans, l'amitie pour Buffon,
qu'il professait devant lui, ce sont la des traits qui honorent une vie
d'homme de lettres. Le Brun aimait les grandes existences a part:
celle de Buffon dut le seduire, et c'etait encore un ideal qu'il eut
probablement aime a realiser pour lui-meme. Peut-etre, si la fortune lui
eut permis d'y arriver, s'il eut pu se fonder ainsi, loin d'un monde ou
il se sentait deplace, une vie grande, simple, auguste; s'il avait eu sa
tour solitaire au milieu de son parc, ses vastes et majestueuses allees,
pour y declamer en paix et y raturer a loisir son poeme de _la Nature_;
si rien autour de lui n'avait froisse son ame hautaine et irritab
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