res, moroses, peut-etre violents et coupables. Il faudra
les plaindre, et tenir compte, en les jugeant, de la nature des temps et
de la leur. Ce sont des especes de victimes publiques, des Promethees
dont le foie est ronge par une fatalite intestine; tout l'enfantement de
la societe retentit en eux, et les dechire; ils souffrent et meurent
du mal dont l'humanite, qui ne meurt pas, guerit, et dont elle sort
regeneree. Tels furent, ce me semble, au dernier siecle, Alfieri en
Italie, et Le Brun en France.
Ne dans un rang inferieur, sans fortune et a la charge d'un grand
seigneur, Le Brun dut se plier jeune aux necessites de sa condition. Il
merita vite la faveur du prince de Conti par des eloges entremeles
de conseils et de maximes philosophiques. A la fois secretaire des
commandements et poete lyrique, il releva le mieux qu'il put la
dependance de sa vie par l'audace de sa pensee, et il s'habitua de bonne
heure a garder pour l'ode, ou meme pour l'epigramme, cette verdeur
franche et souvent acerbe qui ne pouvait se faire jour ailleurs. Aussi,
plus tard, bien qu'il conservat au fond l'independance interieure qu'il
avait annoncee des ses premieres annees, on le voit toujours au service
de quelqu'un. Ses habitudes de domesticite trouvent moyen de se
concilier avec sa nature energique. Au prince de Conti succedent le
comte de Vaudreuil et M. de Calonne, puis Robespierre, puis Bonaparte;
et pourtant, au milieu de ces servitudes diverses, Le Brun demeure ce
qu'il a ete tout d'abord, meprisant les bassesses du temps, vivant
d'avenir, _effrene de gloire_, plein de sa mission de poete, croyant en
son genie, rachetant une action plate par une belle ode, ou se vengeant
d'une ode contre son coeur par une epigramme sanglante. Sa vie
litteraire presente aussi la meme continuite de principes, avec beaucoup
de taches et de mauvais endroits. Eleve de Louis Racine, qui lui avait
legue le culte du grand siecle et celui de l'antiquite, nourri dans
l'admiration de Pindare et, pour ainsi dire, dans la religion lyrique,
il etait simple que Le Brun s'accommodat peu des moeurs et des gouts
frivoles qui l'environnaient; qu'il se separat de la cohue moqueuse et
raisonneuse des beaux-esprits a la mode; qu'il enveloppat dans une egale
aversion Saint-Lambert et d'Alembert, Linguet et La Harpe, Rulhiere et
Dorat, Lemierre et Colardeau, et que, force de vivre des bienfaits d'un
prince, il se passat du moins d'un patron litteraire. Certes il y avait,
pou
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