est indispensable, et j'en demande pardon au
lecteur. Rousseau dit:
J'ai vu mes tristes journees
Decliner vers leur penchant;
Au midi de mes annees
Je touchois a mon couchant.
La Mort deployant ses ailes
Couvroit d'ombres eternelles
La clarte dont je jouis,
Et dans cette nuit funeste
Je cherchois en vain le reste
De mes jours evanouis.
Grand Dieu, votre main reclame
Les dons que j'en ai recus;
Elle vient couper la trame
Des jours qu'elle m'a tissus:
Mon dernier soleil se leve,
Et votre souffle m'enleve
De la terre des vivants,
Comme la feuille sechee,
Qui, de sa tige arrachee,
Devient le jouet des vents.
Les quatre premiers vers de la premiere strophe sont bien, et les six
derniers passables grace a l'harmonie, quoiqu'un peu vides et charges
de mots; mais il fallait tenir compte du verset si touchant d'Isaie:
"Helas! ai-je dit, je ne verrai donc plus le Seigneur, le Seigneur dans
le sejour des vivants! Je ne verrai plus les mortels qui habitent avec
moi la terre!" Ne plus voir les autres hommes, ses freres en douleurs,
voila ce qui afflige surtout le mourant. La seconde strophe est faible
et commune, excepte les trois vers du milieu; a la place de cette
_trame_ usee qu'on voit partout, il y a dans le texte: "Le tissu de
ma vie a ete tranche comme la trame du tisserand." Qu'est devenu ce
tisserand auquel est compare le Seigneur? Au lieu de la _feuille
sechee_, le texte donne: "Mon pelerinage est fini; il a ete emporte
comme la tente du pasteur." Qu'est devenue cette tente du desert,
disparue du soir au matin, et si pareille a la vie? Et plus loin:
Comme un lion plein de rage
Le mal a brise mes os;
Le tombeau m'ouvre un passage
Dans ses lugubres cachots.
Victime foible et tremblante,
A cette image sanglante
Je soupire nuit et jour,
Et, dans ma crainte mortelle,
Je suis comme l'hirondelle
Sous la griffe du vautour.
Les deux derniers vers ne seraient pas mauvais, si on ne lisait dans
le texte: "Je criais vers vous comme les petits de l'hirondelle, et je
gemissais comme la colombe." On voit que Rousseau a precisement laisse
de cote ce qu'il y a de plus neuf et de plus marque dans l'original. Et
pourtant il aurait du, ce semble, comprendre la force de ce cantique
si rempli d'une pieuse tristesse, l'homme malheureux, et peut-etre
coupable, que Dieu avait frappe a son midi, et qui avait besoin de
retrouver le reste de ses jours pour se repent
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