moment, il traite l'auteur du _Diable boiteux_ comme un faquin
du plus bas etage: "L'auteur, ecrit-il, ne pouvoit mieux faire que
s'associer avec des danseurs de corde: son genie est dans sa veritable
sphere." Refugie a Bruxelles en 1724, il prie son ami l'abbe d'Olivet de
lui envoyer un paquet de tragedies; en voici la liste: elle serait plus
complete et plus piquante, si Rotrou ne s'y trouvait pas:
_Venceslas_, de Rotrou;
_Cleopatre_, de La Chapelle;
_Geta_, de Pechantre;
_Andronic_, _Tiridate_, de Campistron;
_Polyxene_, _Manlius_, _Thesee_, de La Fosse;
_Absalon_, de Duche.
Je me suis trompe en disant que Rousseau ne s'inquietait jamais de
l'idee; il a fait une ode _sur les Divinites poetiques_, dans laquelle
est expose en style barbare un systeme d'allegorisation qui ne va a rien
moins qu'a mettre Bellone pour la guerre, Tisiphone pour la peur. Le
plus plaisant, c'est que pour cette demonstration _esthetique_, comme on
dirait aujourd'hui, il s'est imagine de recourir a l'ombre d'Alcee:
Je la vois; c'est l'Ombre d'Alcee
Qui me la decouvre a l'instant,
Et qui deja, d'un oeil content,
Devoile a ma vue empressee
Ces deites d'adoption,
Synonymes de la pensee,
Symboles de l'abstraction.
Alcee se met donc a chanter en ces termes:
Des societes temporelles
Le premier lien est la voix,
Qu'en divers sons l'homme, a son choix,
Modifie et flechit pour elles;
Signes communs et naturels,
Ou les ames incorporelles
Se tracent aux sens corporels.
Rousseau avait probablement attrape ces lambeaux de metaphysique, sinon
dans le commerce d'Alcee, du moins dans les livres ou les conversations
de son ami M. de Crousaz. Il y tenait au reste beaucoup plus qu'on
ne croirait. Ses odes en sont chamarrees; et ses _allegories_, qu'il
estimait autant et plus que ses odes, nous offrent comme la mise en
oeuvre et le resultat direct du systeme.
Attaquons-nous maintenant, sans plus tarder, aux oeuvres de
Jean-Baptiste: nous laisserons de cote son theatre, et puisque nous
avons nomme ses _allegories_, nous les frapperons tout d'abord. Le
fantastique au XVIIIe siecle, en France, avait degenere dans tous les
arts. De brillant, de gracieux, de grotesque ou de terrible qu'il etait
au Moyen-Age et a la Renaissance, il etait devenu froid, lourd et
superficiel; on le tourmentait comme une enigme, parce qu'on ne
l'entendait plus a demi-mot. Le fantastique en effet n'est autre
chose qu'une folle
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