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qu'est-ce donc dans ses pieces que ces roles delicats, parfois un peu
pales comme Aricie, bien souvent passionnes et enchanteurs, Atalide,
Monime, et surtout Berenice?
_Berenice_ peut etre dite une charmante et melodieuse faiblesse dans
l'oeuvre de Racine, comme la Champmesle le fut dans sa vie.
Il ne faudrait pas que de telles faiblesses, si gracieuses qu'elles
semblent par exception, revinssent trop souvent; elles affecteraient
l'oeuvre entiere d'une teinte trop particuliere et qui aurait sa
monotonie, sa fadeur. Le talent a ses inclinations qu'il doit consulter,
qu'il doit suivre, qu'il doit diriger et aussi reprimer mainte fois.
Dans l'ordre poetique comme dans l'ordre moral, la grandeur est au prix
de l'effort, de la lutte et de la constance; l'ideal habite les hauts
sommets. On oublie trop de nos jours ce devoir impose au talent; sous
pretexte de _lyrisme_, chacun s'abandonne a sa pente, et l'on n'atteint
pas a l'oeuvre derniere dont on eut ete capable. Aux epoques tout a fait
saines et excellentes, les choses ne se pratiquent pas ainsi. Ce n'est
pas contrarier son talent et aller contre Minerve que de se resserrer,
de se restreindre sur quelques points, de viser a s'elever et a
s'agrandir sur certains autres. Dans le beau siecle dont nous parlons,
ce devoir rigoureux, cet avertissement attentif et salutaire se
personnifiait dans une figure vivante, et s'appelait Boileau. Il est bon
que la conscience interieure que chaque talent porte naturellement
en soi prenne ainsi forme au dehors et se represente a temps dans la
personne d'un ami, d'un juge assidu qu'on respecte; il n'y a plus moyen
de l'oublier ni de l'eluder. Moliere, le grand comique, etait sujet a
se repandre et a se distraire dans les delicieuses mais surabondantes
bouffonneries des Dandin, des Scapin, des Sganarelle; il aurait pu s'y
attarder trop longtemps et ne pas tenter son plus admirable effort.
Despreaux, c'est-a-dire la conscience litteraire, eleva la voix, et l'on
eut a son moment _le Misanthrope_. Ainsi de La Fontaine, qu'il fallut
tirer de ses dizains et de ses contes ou il se complaisait si aisement,
pour l'appliquer a ses fables et lui faire porter ses plus beaux
fruits. Ainsi de Racine lui-meme qui, au sortir des douceurs premieres,
s'elevait a Burrhus et aspirait a _Phedre_. Il retomba cette fois, il
fit _Berenice_ sans Boileau, comme il s'etait cache, enfant, de ses
maitres pour lire le roman d'Heliodore.
Mais ce n'est la qu'une
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