d, ou qu'au
moins il aurait certainement troque tres-volontiers contre un autre,
Jean-Baptiste Rousseau se sentit de bonne heure l'envie de sortir d'une
si basse condition. On ne sait trop comment se passerent ses premieres
annees; il s'est bien garde d'en parler jamais, et il parait s'etre
expressement interdit, comme une honte, tout souvenir d'enfance; c'etait
mal imiter Horace pour le debut. Rousseau se destinait pourtant a la
poesie lyrique. Il connut Boileau, alors vieux et chagrin, et recut
de lui des conseils et des traditions. Il s'insinua aupres de grands
seigneurs qui le protegerent, le baron de Breteuil, Bonrepeaux,
Chamillart, Tallard, et fut meme attache a ce dernier dans l'ambassade
d'Angleterre. Il avait vu a Londres Saint-Evremond; a Paris, il etait
des familiers du _Temple_, des habitues du cafe _Laurens_; il s'essayait
au theatre par de froides comedies; il paraphrasait les psaumes que le
marechal de Noailles lui commandait pour la cour, et composait pour la
ville d'obscenes epigrammes, qu'il appelait les _Gloria Patri_ de ses
psaumes. Son existence litteraire, comme on voit, ne laissait pas de
devenir considerable: il etait membre de l'Academie des Inscriptions;
l'opinion le designait pour l'Academie francaise, comme heritier
presomptif de Boileau. En un mot, tout annoncait a J.-B. Rousseau qu'il
allait, durant quelques annees, tenir un des premiers rangs, le premier
rang peut-etre!... dans les cercles litteraires, entre La Motte,
Crebillon, La Fosse, Duche, La Grange-Chancel, Saurin, de l'Academie des
Sciences, et autres. Tout cela se passait vers 1710.
Mais, comme nous l'avons deja indique, et comme il le dit lui-meme avec
une elegance parfaite, il s'etait _accoquine a la hantise_ du cafe
Laurens; c'etait rue Dauphine, non loin du Theatre-Francais, qui de la
rue Guenegaud avait passe dans celle des Fosses-Saint-Germain-des-Pres.
Les etablissements de l'espece des _cafes_ ne dataient guere que de ces
annees-la, et remplacaient avantageusement pour les auteurs et gens de
lettres le cabaret, ou s'etaient encore enivres sans vergogne Chapelle
et Boileau. Le cafe n'avait pas passe de mode, malgre la prediction de
madame de Sevigne; bien au contraire, il devait exercer une assez grande
influence sur le XVIIIe siecle, sur cette epoque si vive et si hardie,
nerveuse, irritable, toute de saillies, de conversations, de verve
artificielle, d'enthousiasme apres quatre heures du soir; j'en prends
a temoin Volta
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