ire et son amour du Moka. Ce cafe de la veuve _Laurens_
etait donc une espece de cafe _Procope_ du temps; on y politiquait; on
y jugeait la piece nouvelle; on s'y recitait a l'oreille l'epigramme de
Gacon sur _l'Athenais_ de La Grange-Chancel, le huitain de La Grange en
reponse aux critiques de M. Le Noble; on y comparait la musique de Lulli
et celle de Campra. Or, Rousseau, apres quelques essais lyriques
peu goutes, avait donne en 1696, au Theatre-Francais, la comedie
du _Flatteur_, qui n'avait eu qu'un demi-succes, et en 1700, _le
Capricieux_, qui reussit encore moins. Il s'en prit de sa disgrace aux
habitues du cafe et les chansonna dans de grossiers couplets a rimes
riches, ce qui le fit aussitot reconnaitre. On peut juger du scandale.
Rousseau se _desaccoquina_ du cafe et desavoua les couplets dans le
monde; mais on en parlait toujours; de temps a autre de nouveaux
couplets clandestins se retrouvaient sur les tables, sous les portes;
cette petite guerre dura dix ans et ouvrit le siecle. Enfin, en 1710,
quelques derniers couplets, si infames qu'on doit les croire fabriques a
dessein par les ennemis de Rousseau, mirent le comble a l'indignation.
Rousseau, non content de s'en laver, les imputa a Saurin; de la
proces en diffamation et en calomnie, arret du Parlement en 1712, et
bannissement de Rousseau a perpetuite hors du royaume.
Jean-Baptiste avait quarante-deux ans; quelque long que fut alors le
noviciat des poetes, son education lyrique devait etre achevee. Il
avait deja compose quelques odes, et sa haine contre La Motte, qui en
composait aussi, n'avait pas peu contribue, sans doute, a determiner sa
vocation laborieuse et tardive. Qu'est-ce donc qu'un poete lyrique? Avec
sa nature d'esprit et ses habitudes, Rousseau pouvait-il pretendre a
l'etre? pouvait-il s'en rencontrer un, vers 1710?
Un poete lyrique, c'est une ame a nu qui passe et chante au milieu du
monde; et selon les temps, et les souffles divers, et les divers tons ou
elle est montee, cette ame peut rendre bien des especes de sons. Tantot,
flottant entre un passe gigantesque et un eblouissant avenir, egaree
comme une harpe sous la main de Dieu, l'ame du prophete exhalera les
gemissements d'une epoque qui finit, d'une loi qui s'eteint, et saluera
avec amour la venue triomphale d'une loi meilleure et le char vivant
d'Emmanuel; tantot, a des epoques moins hautes, mais belles encore et
plus purement humaines, quand les rois sont heros ou fils de heros,
qu
|