miere,
et tous les genres d'interet venaient aboutir a ce personnage imperial
de Titus et converger a son front comme les rayons du diademe. C'est par
lui et par sa lutte serieuse que le poete remettait son oeuvre sur
le pied tragique, et pretendait corriger ce que le reste de la piece
pouvait avoir de trop amollissant: "Ce n'est point une necessite,
disait-il en repondant aux chicanes des critiques d'alors, qu'il y ait
du sang et des morts dans une tragedie: il suffit que l'action en soit
grande, que les acteurs en soient heroiques, que les passions y soient
excitees, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui
fait tout le plaisir de la tragedie." Geoffroy, qui cite ce passage dans
son feuilleton sur _Berenice_, s'en fait une arme contre ceux qu'il
appelle les _voltairiens_ en tragedie, et qu'il represente comme alteres
de sang et et de carnage dramatique. Helas! ce sont les voltairiens
aujourd'hui (s'il en etait encore dans ce sens-la) qui se rangeraient du
cote de Geoffroy et que nous aurions peine a en distinguer. Titus donc
exprime en lui le caractere tragique, en ce sens qu'il soutient une
lutte genereuse, qu'il sort du penchant tout naturel et vulgaire; qu'il
a le haut sentiment de la dignite souveraine et de ce qu'on doit a ce
rang de maitre des humains. Au fond il n'a jamais hesite, pas plus qu'un
heros n'hesite en toute question de delicatesse supreme et d'honneur. On
est dechire, on se detourne, on pleure, mais on marche toujours. Il
est vrai qu'on peut, au premier abord, opposer que ce Titus, non plus
qu'Enee de qui il tient, n'est assez passionnement amoureux; que, s'il
l'etait davantage, il cederait peut-etre. Mais non: Racine, revenant
ici, dans le dernier acte, a l'inspiration superieure et majestueuse de
la tragedie, a rendu energiquement cette stabilite heroique de l'ame a
travers tous les orages, et n'a voulu laisser aucun doute sur ce qui
demeure impossible:
En quelque extremite que vous m'ayez reduit,
Ma gloire inexorable a toute heure me suit;
Sans cesse elle presente a mon ame etonnee
L'empire incompatible avec notre hymenee,
Me dit qu'apres l'eclat et les pas que j'ai faits,
Je dois vous epouser encor moins que jamais.
Oui, madame, et je dois moins encore vous dire
Que je suis pret pour vous d'abandonner l'empire,
De vous suivre et d'aller, trop content de mes fers,
Soupirer avec vous au bout de l'univers.
Vous-meme rougiriez de ma lache conduite...
V
|