ffisait, convenons-en,
a la societe d'alors, qui, dans son oisivete polie, ne reclamait pas un
drame plus agite, plus orageux, plus _transportant_, pour parler comme
madame de Sevigne, et qui s'en tenait volontiers a _Berenice_, en
attendant _Phedre_, le chef-d'oeuvre du genre. Cette piece de _Berenice_
fut commandee a Racine par Madame, duchesse d'Orleans, qui soutenait
a la cour les nouveaux poetes, et qui joua cette fois a Corneille le
mauvais tour de le mettre aux prises, en champ-clos, avec son jeune
rival. D'un autre cote, Boileau, ami fidele et sincere, defendait
Racine contre la cohue des auteurs, le relevait de ses decouragements
passagers, et l'excitait, a force de severite, a des progres sans
relache. Ce controle journalier de Boileau eut ete funeste assurement a
un auteur de libre genie, de verve impetueuse ou de grace nonchalante,
a Moliere, a La Fontaine, par exemple; il ne put etre que profitable
a Racine, qui, avant de connaitre Boileau, et sauf quelques pointes
a l'italienne, suivait deja cette voie de correction et d'elegance
continue, ou celui-ci le maintint et l'affermit. Je crois donc que
Boileau avait raison lorsqu'il se glorifiait d'avoir appris a Racine _a
faire difficilement des vers faciles_; mais il allait un peu loin, si,
comme on l'assure, il lui donnait pour precepte _de faire ordinairement
le second vers avant le premier_.
Depuis _Andromaque_, qui parut en 1667, jusqu'a _Phedre_, dont le
triomphe est de 1677, dix annees s'ecoulerent; on sait comment Racine
les remplit. Anime par la jeunesse et l'amour de la gloire, aiguillonne
a la fois par ses admirateurs et ses envieux, il se livra tout entier au
developpement de son genie. Il rompit directement avec Port-Royal; et, a
propos d'une attaque de Nicole contre les auteurs de theatre, il lanca
une lettre piquante qui fit scandale et lui attira des represailles. A
force d'attendre et de solliciter, il avait enfin obtenu un benefice, et
le privilege de la premiere edition d'_Andromaque_ est accorde au sieur
Racine, prieur de l'Epinai. Un regulier lui disputa ce prieure; un
proces s'ensuivit, auquel personne n'entendit rien; et Racine ennuye se
desista, en se vengeant des juges par la comedie des _Plaideurs_ qu'on
dirait ecrite par Moliere, admirable farce dont la maniere decele un
coin inapercu du poete, et fait ressouvenir qu'il lisait Rabelais,
Marot, meme Scarron, et tenait sa place au cabaret entre Chapelle et
La Fontaine. Cette vie si plei
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