el de l'auteur, le caractere d'Agrippine n'est exprime
qu'imparfaitement: comme il fallait interesser a sa disgrace, ses plus
odieux vices sont rejetes dans l'ombre; elle devient un personnage peu
reel, vague, inexplique, une maniere de mere tendre et jalouse; il n'est
plus guere question de ses adulteres et de ses meurtres qu'en allusion,
a l'usage de ceux qui ont lu l'histoire dans Tacite. Enfin, a la place
d'Acte, intervient la romanesque Junie. Neron amoureux n'est plus que
le rival passionne de Britannicus, et les cotes hideux du tigre
disparaissent, ou sont touches delicatement a la rencontre. Que dire du
denouement? de Junie refugiee aux Vestales, et placee sous la protection
du peuple, comme si le peuple protegeait quelqu'un sous Neron? Mais ce
qu'on a droit surtout de reprocher a Racine, c'est d'avoir soustrait aux
yeux la scene du festin. Britannicus est a table, on lui verse a boire;
quelqu'un de ses domestiques goute le breuvage, comme c'est la coutume,
tant on est en garde contre un crime: mais Neron a tout prevu; le
breuvage s'est trouve trop chaud, il faut y verser de l'eau froide
pour le rafraichir, et c'est cette eau froide qu'on a eu le soin
d'empoisonner. L'effet est soudain; ce poison tue sur l'heure, et
Locuste a ete chargee de le preparer tel, sous la menace du supplice.
Soit dedain pour ces circonstances, soit difficulte de les exprimer en
vers, Racine les a negligees dans le recit de Burrhus: il se borne a
rendre l'effet moral de l'empoisonnement sur les spectateurs, et il y
reussit; mais on doit avouer que meme sur ce point il a rabattu de la
brievete incisive, de la concision eclatante de Tacite. Trop souvent,
lorsqu'il traduit Tacite comme lorsqu'il traduit la Bible, Racine se
fraie une route entre les qualites extremes des originaux, et garde
prudemment le milieu de la chaussee, sans approcher des bords d'ou l'on
voit le precipice. Nous preciserons tout-a-l'heure le fait pour ce qui
concerne la Bible; nous n'en citerons qu'un exemple relativement a
Tacite. Agrippine, dans sa belle invective contre Neron, s'ecrie que
d'un cote l'on entendra _la fille de Germanicus_, et de l'autre _le fils
d'Aenobarbus_.
Appuye de Seneque et du tribun Burrhus,
Qui, tous deux de l'exil rappeles par moi-meme,
Partagent a mes yeux l'autorite supreme.
Or Tacite dit: _Audiretur hinc Germanici filia, inde debilis rursus
Burrhus et exsul Seneca, trunca scilicet manu et professoria lingua,
generis humani regi
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