ces. Les moeurs litteraires du temps ne
ressemblaient pas aux notres: les auteurs ne se faisaient aucun scrupule
d'implorer et de recevoir les liberalites des princes et seigneurs.
Corneille, en tete d'_Horace_, dit qu'_il a l'honneur d'etre a Son
Eminence_; c'est ainsi que M. de Ballesdens de l'Academie avait
_l'honneur d'etre a M. le Chancelier_; c'est ainsi qu'Attale dit a la
reine Laodice, en parlant de Nicomede qu'il ne connait pas: _Cet
homme est-il a vous?_ Les gentilshommes alors se vantaient d'etre les
_domestiques_ d'un prince ou d'un seigneur. Tout ceci nous mene a
expliquer et a excuser dans notre illustre poete ces singulieres
dedicaces a Richelieu, a Montauron, a Mazarin, a Fouquet, qui ont si
mal a propos scandalise Voltaire, et que M. Taschereau a reduites
fort judicieusement a leur veritable valeur. Vers la meme epoque, en
Angleterre, les auteurs n'etaient pas en condition meilleure et on
trouve la-dessus de curieux details dans les _Vies des poetes_ par
Johnson et les Memoires de Samuel Pepys. Dans la correspondance de
Malherbe avec Peiresc, il n'est presque pas une seule lettre ou
le celebre lyrique ne se plaigne de recevoir du roi Henri plus de
compliments que d'ecus. Ces moeurs subsistaient encore du temps de
Corneille; et quand meme elles auraient commence a passer d'usage, sa
pauvrete et ses charges de famille l'eussent empeche de s'en affranchir.
Sans doute il en souffrait par moments, et il deplore lui-meme quelque
part _ce je ne sais quoi d'abaissement secret_, auquel un noble coeur a
peine a descendre; mais, chez lui, la necessite etait plus forte que les
delicatesses. Disons-le encore: Corneille, hors de son sublime et de
son pathetique, avait peu d'adresse et de tact. Il portait dans les
relations de la vie quelque chose de gauche et de provincial; son
discours de reception a l'Academie, par exemple, est un chef-d'oeuvre de
mauvais gout, de plate louange et d'emphase commune. Eh bien! il faut
juger de la sorte sa dedicace a Montauron, la plus attaquee de toutes,
et ridicule meme lorsqu'elle parut. Le bon Corneille y manqua de mesure
et de convenance; il insista lourdement la ou il devait glisser; lui,
pareil au fond a ses heros, entier par l'ame, mais brise par le sort, il
se baissa trop cette fois pour saluer, et frappa la terre de son noble
front. Qu'y faire? Il y avait en lui, melee a l'inflexible nature du
vieil _Horace_, quelque partie de la nature debonnaire de _Pertharite_
et de _Prusi
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