ais ce songe s'evanouit par la captivite de l'enchanteur. Sur ces
entrefaites, la duchesse de Bouillon, niece de Mazarin, ayant demande au
poete des contes en vers, il s'empressa de la satisfaire, et le premier
recueil des Contes parut en 1664: La Fontaine avait quarante-trois ans.
On a cherche a expliquer un debut si tardif dans un genie si facile, et
certains critiques sont alles jusqu'a attribuer ce long silence a des
etudes _secretes_, a une education laborieuse et prolongee. En verite,
bien que La Fontaine n'ait pas cesse d'essayer et de cultiver a ses
moments de loisir son talent, depuis le jour ou l'ode de Malherbe le lui
revela, j'aime beaucoup mieux croire a sa paresse, a son sommeil, a
ses distractions, a tout ce qu'on voudra de naif et d'oublieux en lui,
qu'admettre cet ennuyeux noviciat auquel il se serait condamne. Genie
instinctif, insouciant, volage et toujours livre au courant des
circonstances, on n'a qu'a rapprocher quelques traits de sa vie pour
le connaitre et le comprendre. Au sortir du college, un chanoine de
Soissons lui prete des livres pieux, et le voila au seminaire; un
officier lui lit une ode de Malherbe, et le voila poete; Pintrel et
Maucroix lui conseillent l'antiquite, et le voila qui reve Quintilien et
raffole de Platon en attendant Baruch. Fouquet lui commande dizains et
ballades, il en fait; madame de Bouillon, des contes, et il est conteur;
un autre jour ce seront des fables pour monseigneur le Dauphin, un poeme
du _Quinquina_ pour madame de Bouillon encore, un opera de _Daphne_ pour
Lulli, _la Captivite de saint Malc_ a la requete de MM. de Port-Royal;
ou bien ce seront des lettres, de longues lettres negligees et
fleuries, melees de vers et de prose, a sa femme, a M. de Maucroix, a
Saint-Evremond, aux Conti, aux Vendome, a tous ceux enfin qui lui en
demanderont. La Fontaine depensait son genie, comme son temps, comme sa
fortune, sans savoir comment, et au service de tous. Si jusqu'a l'age
de quarante ans il en parut moins prodigue que plus tard, c'est que les
occasions lui manquaient en province, et que sa paresse avait besoin
d'etre surmontee par une douce violence. Une fois d'ailleurs qu'il eut
rencontre le genre qui lui convenait le mieux, celui du _conte_ et de
la _fable_, il etait tout simple qu'il s'y adonnat avec une sorte
d'effusion, et qu'il y revint de lui-meme a plusieurs reprises, par
penchant comme par habitude. La Fontaine, il est vrai, se meprenait un
peu sur lui-meme; i
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