l se piquait de beaucoup de correction et de labeur,
et sa poetique qu'il tenait en gros de Maucroix, et que Boileau et
Racine lui acheverent, s'accordait assez mal avec la tournure de ses
oeuvres. Mais cette legere inconsequence, qui lui est commune avec
d'autres grands esprits naifs de son temps, n'a pas lieu d'etonner chez
lui, et elle confirme bien plus qu'elle ne contrarie notre opinion sur
la nature facile et accommodante de son genie. Un celebre poete de nos
jours, qu'on a souvent compare a La Fontaine pour sa bonhomie aiguisee
de malice, et qui a, comme lui, la gloire d'etre createur inimitable
dans un genre qu'on croyait use, le meme poete populaire qui, dans ce
moment d'emotion politique, est rendu, apres une trop longue captivite,
a ses amis et a la France, Beranger, n'a commence aussi que vers
quarante ans a concevoir et a composer ses immortelles chansons. Mais,
pour lui, les causes du retard nous semblent differentes, et les jours
du silence ont ete tout autrement employes. Jete jeune et sans education
reguliere au milieu d'une litterature compassee et d'une poesie sans
ame, il a du hesiter longtemps, s'essayer en secret, se decourager
maintes fois et se reprendre, tenter du nouveau dans bien des voies, et,
en un mot, bruler bien des vers avant d'entrer en plein dans le genre
unique que les circonstances ouvrirent a son coeur de citoyen. Beranger,
comme tous les grands poetes de ce temps, meme les plus instinctifs,
a su parfaitement ce qu'il faisait et pourquoi il le faisait: un art
delicat et savant se cache sous ses reveries les plus epicuriennes, sous
ses inspirations les plus ferventes; honneur en soit a lui! mais cela
n'etait ni du temps ni du genie de La Fontaine.
Ce qu'est La Fontaine dans le _conte_, tout le monde le sait; ce qu'il
est dans la _fable_, on le sait aussi, on le sent; mais il est moins
aise de s'en rendre compte. Des auteurs d'esprit s'y sont trompes; ils
ont mis en action, selon le precepte, des animaux, des arbres, des
hommes, ont cache un sens fin, une morale saine sous ces petits drames,
et se sont etonnes ensuite d'etre juges si inferieurs a leur illustre
devancier: c'est que La Fontaine entendait autrement la fable. J'excepte
les premiers livres, dans lesquels il montre plus de timidite, se tient
davantage a son petit recit, et n'est pas encore tout a fait a l'aise
dans cette forme qui s'adaptait moins immediatement a son esprit que
l'elegie ou le conte. Lorsque le second recuei
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