ecourtee, et a _la francaise_, du XVIIIe
siecle. On se souvient des magnifiques vers de l'_Epitre a Ariste_, dans
lesquels Corneille se glorifie lui-meme apres le triomphe du _Cid_:
Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit.
Voltaire a ose dire de cette belle epitre: "Elle parait ecrite
entierement dans le style de Regnier, sans grace, sans finesse, sans
elegance, sans imagination; mais on y voit de la facilite et de la
naivete." Prusias, en parlant de son fils Nicomede que les victoires ont
exalte, s'ecrie:
Il ne veut plus dependre, et croit que ses conquetes
Au-dessus de son bras ne laissent point de tetes.
Voltaire met en note: "_Des tetes au-dessus des bras_, il n'etait
plus permis d'ecrire ainsi en 1657." Il serait certes piquant de lire
quelques pages de Saint-Simon qu'aurait commentees Voltaire. Pour nous,
le style de Corneille nous semble avec ses negligences une des plus
grandes manieres du siecle qui eut Moliere et Bossuet. La touche du
poete est rude, severe et vigoureuse. Je le comparerais volontiers a
un statuaire qui, travaillant sur l'argile pour y exprimer d'heroiques
portraits, n'emploie d'autre instrument que le pouce, et qui, petrissant
ainsi son oeuvre, lui donne un supreme caractere de vie avec mille
accidents heurtes qui l'accompagnent et l'achevent; mais cela est
incorrect, cela n'est pas lisse ni _propre_, comme on dit. Il y a peu de
peinture et de couleur dans le style de Corneille; il est chaud plutot
qu'eclatant; il tourne volontiers a l'abstrait, et l'imagination y
cede a la pensee et au raisonnement. Il doit plaire surtout aux hommes
d'etat, aux geometres, aux militaires, a ceux qui goutent les styles de
Demosthene, de Pascal et de Cesar.
En somme, Corneille, genie pur, incomplet, avec ses hautes parties et
ses defauts, me fait l'effet de ces grands arbres, nus, rugueux, tristes
et monotones par le tronc, et garnis de rameaux et de sombre verdure
seulement a leur sommet. Ils sont forts, puissants, gigantesques, peu
touffus; une seve abondante y monte: mais n'en attendez ni abri, ni
ombrage, ni fleurs. Ils feuillissent tard, se depouillent tot, et vivent
longtemps a demi depouilles. Meme apres que leur front chauve a livre
ses feuilles au vent d'automne, leur nature vivace jette encore par
endroits des rameaux perdus et de vertes poussees. Quand ils vont
mourir, ils ressemblent par leurs craquements et leurs gemissements a ce
tronc charge d'armures, auquel Lucain a co
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