re d'un triomphe. Avec les annees, il deviendra peut-etre
plus calme, plus repose, plus mur; mais aussi il perdra en naivete
d'expression, et se fera un voile qu'on devra percer pour arriver a lui:
la fraicheur du sentiment intime se sera effacee de son front; l'ame
prendra garde de s'y trahir: une contenance plus etudiee ou du moins
plus machinale aura remplace la premiere attitude si libre et si vive.
Or, ce que le statuaire ferait s'il le pouvait, le critique biographe,
qui a sous la main toute la vie et tous les instants de son auteur, doit
a plus forte raison le faire; il doit realiser par son analyse sagace et
penetrante ce que l'artiste figurerait divinement sous forme de symbole.
La statue une fois debout, le type une fois decouvert et exprime, il
n'aura plus qu'a le reproduire avec de legeres modifications dans les
developpements successifs de la vie du poete, comme en une serie de
bas-reliefs. Je ne sais si toute cette theorie, mi-partie poetique et
mi-partie critique, est fort claire; mais je la crois fort vraie, et
tant que les biographes des grands poetes ne l'auront pas presente a
l'esprit, ils feront des livres utiles, exacts, estimables sans doute,
mais non des oeuvres de haute critique et d'art; ils rassembleront
des anecdotes, determineront des dates, exposeront des querelles
litteraires: ce sera l'affaire du lecteur d'en faire jaillir le sens et
d'y souffler la vie; ils seront des chroniqueurs, non des statuaires;
ils tiendront les registres du temple, et ne seront pas les pretres du
dieu.
Cela pose, nous nous garderons d'en faire une severe application a
l'ouvrage plein de recherches et de faits que vient de publier M.
Taschereau sur Pierre Corneille[14]. Dans cette histoire, aussi bien que
dans celle de Moliere, M. Taschereau a eu pour but de recueillir et
de lier tout ce qui nous est reste de traditions sur la vie de ces
illustres auteurs, de fixer la chronologie de leurs pieces, et de
raconter les debats dont elles furent l'occasion et le sujet. Il renonce
assez volontiers a la pretention litteraire de juger les oeuvres,
de caracteriser le talent, et s'en tient d'ordinaire la-dessus aux
conclusions que le temps et le gout ont consacrees. Quand les faits sont
clair-semes ou manquent, ce qui arrive quelquefois, il ne s'efforce
point d'y suppleer par les suppositions circonspectes et les inductions
legitimes d'une critique sagement conjecturale; mais il passe outre,
et s'empresse d'arriver a des fai
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