, qui, a l'exemple de
ses heros, parle hautement de lui-meme comme il en pense, a droit de
s'ecrier, sans peur de dementi, aux applaudissements de ses admirateurs
et au desespoir de ses envieux:
Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit.
Pour me faire admirer je ne fais point de ligue;
J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue;
Et mon ambition, pour faire un peu de bruit,
Ne les va point queter de reduit en reduit.
Mon travail, sans appui, monte sur le theatre;
Chacun en liberte l'y blame ou l'idolatre.
La, sans que mes amis prechent leurs sentiments,
J'arrache quelquefois des applaudissements;
La, content du succes que le merite donne,
Par d'illustres avis je n'eblouis personne.
Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,
Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans;
Par leur seule beaute ma plume est estimee;
Je ne dois qu'a moi seul toute ma renommee,
Et pense toutefois n'avoir point de rival
A qui je fasse tort en le traitant d'egal[17].
[Note 16: J'insiste sur le style; le fond du _Cid_ est tout pris
a l'espagnol. M. Fauriel, dans une lecon, comparant les deux _Cids,_
remarquait, comme difference, l'abrege frequent, rapide, que Corneille
avait fait des scenes plus developpees de l'original: "Chez Corneille,
ajoutait-il, on dirait que tous les personnages _travaillent a l'heure_,
tant ils sont presses de faire le plus de choses dans le moins de
temps!" Corneille sentait son public francais.]
[Note 17: Il sent bien qu'il va un peu loin et s'en excuse:
Nous nous aimons un peu, c'est notre faible a tous.
Le prix que nous valons, qui le sait mieux que nous?
Ceci devient malin; on croirait que c'est du La Fontaine.]
L'eclatant succes du _Cid_ et l'orgueil bien legitime qu'en ressentit et
qu'en temoigna Corneille souleverent contre lui tous ses rivaux de
la veille et tous les auteurs de tragedies, depuis Claveret jusqu'a
Richelieu. Nous n'insisterons pas ici sur les details de cette
querelle, qui est un des endroits les mieux eclaircis de notre histoire
litteraire. L'effet que produisit sur le poete ce dechainement de la
critique fut tel qu'on peut le conclure d'apres le caractere de son
talent et de son esprit. Corneille, avons-nous dit, etait un genie pur,
instinctif, aveugle, de propre et libre mouvement, et presque denue des
qualites moyennes qui accompagnent et secondent si efficacement dans le
poete le don superieur et divin. Il n
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