nt en ce moment nous jugeons le
talent avec une attention severe, disons qu'il fut sensible a l'amitie
plus qu'a toute autre affection. Dans une lettre, datee de 1695 et
adressee a M. de Maucroix au sujet de la mort de La Fontaine, on lit ce
passage, le seul touchant peut-etre que presente la correspondance de
Boileau: "Il me semble, monsieur, que voila une longue lettre. Mais
quoi? le loisir que je me suis trouve aujourd'hui a Auteuil m'a comme
transporte a Reims, ou je me suis imagine que je vous entretenois dans
votre jardin, et que je vous revoyois encore comme autrefois, avec tous
ces chers amis que nous avons perdus, et qui ont disparu velut somnium
surgentis." Aux infirmites de l'age se joignirent encore un proces
desagreable a soutenir, et le sentiment des malheurs publics. Boileau,
depuis la mort de Racine, ne remit pas les pieds a Versailles; il
jugeait tristement les choses et les hommes; et meme, en matiere de
gout, la decadence lui paraissait si rapide, qu'il allait jusqu'a
regretter le temps des Bonnecorse et des Pradon. Ce qu'on a peine a
concevoir, c'est qu'il vendit sur ses derniers jours sa maison d'Auteuil
et qu'il vint mourir, en 1711, au cloitre Notre-Dame, chez le chanoine
Lenoir, son confesseur. Le principal motif fut la piete sans doute,
comme le dit le Necrologe de Port-Royal; mais l'economie y entra aussi
pour quelque chose, car il ne haissait pas l'argent[4]. La vieillesse
du poete historiographe ne fut pas moins triste et morose que celle du
Monarque.
[Note 4: Cizeron-Rival, d'apres Brossette, _Recreations
litteraires_.]
On doit maintenant, ce nous semble, comprendre notre opinion sur
Boileau. Ce n'est pas du tout un poete, si l'on reserve ce titre aux
etres fortement doues d'imagination et d'ame: son _Lutrin_ toutefois
nous revele un talent capable d'invention, et surtout des beautes
pittoresques de detail. Boileau, selon nous, est un esprit sense et
fin, poli et mordant, peu fecond; d'une agreable brusquerie; religieux
observateur du vrai gout; bon ecrivain en vers; d'une correction
savante, d'un enjouement ingenieux; l'oracle de la cour et des lettres
d'alors; tel qu'il fallait pour plaire a la fois a Patru et a M. de
Bussy, a M. Daguesseau et a madame de Sevigne, a M. Arnauld et a madame
de Maintenon, pour imposer aux jeunes courtisans, pour agreer aux vieux,
pour etre estime de tous honnete homme et d'un merite solide. C'est le
_poete-auteur_, sachant converser et vivre[5], mais veri
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