olonels faisant fonctions de generaux; des
revolvers et des poignards s'etalaient autour de gros ventres pacifiques
enveloppes de ceintures rouges; des petits bourgeois devenus guerriers
d'occasion commandaient des bataillons de volontaires braillards et
juraient comme des charretiers pour se donner de la prestance.
Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils a systemes
affolait ces gens qui n'avaient jusqu'ici manie que des balances, et les
rendait, sans aucune raison, redoutables au premier venu. On executait
des innocents pour prouver qu'on savait tuer; on fusillait, en rodant
par les campagnes vierges encore de Prussiens, les chiens errants, les
vaches ruminant en paix, les chevaux malades paturant dans les
herbages.
Chacun se croyait appele a jouer un grand role militaire. Les cafes des
moindres villages, pleins de commercants en uniforme, ressemblaient a
des casernes ou a des ambulances.
Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvelles de
l'armee et de la capitale; mais une extreme agitation le remuait depuis
un mois, les partis adverses se trouvant face a face.
Le maire, M. le vicomte de Varnetot, petit homme maigre, vieux deja,
legitimiste rallie a l'Empire depuis peu, par ambition, avait vu surgir
un adversaire determine dans le docteur Massarel, gros homme sanguin,
chef du parti republicain dans l'arrondissement, venerable de la loge
maconnique du chef-lieu, president de la Societe d'agriculture et du
banquet des pompiers, et organisateur de la milice rurale qui devait
sauver la contree.
En quinze jours, il avait trouve le moyen de decider a la defense du
pays soixante-trois volontaires maries et peres de famille, paysans
prudents et marchands du bourg, et il les exercait, chaque matin, sur la
place de la mairie.
Quand le maire, par hasard, venait au batiment communal, le commandant
Massarel, barde de pistolets, passant fierement, le sabre en main,
devant le front de sa troupe, faisait hurler a son monde: "Vive la
patrie!" Et ce cri, on l'avait remarque, agitait le petit vicomte, qui
voyait la sans doute une menace, un defi, en meme temps qu'un souvenir
odieux de la grande Revolution.
Le 5 septembre au matin, le docteur en uniforme, son revolver sur sa
table, donnait une consultation a un couple de vieux campagnards, dont
l'un, le mari, atteint de varices depuis sept ans, avait attendu que sa
femme en eut aussi pour venir trouver le medecin, quand le facteur
apporta le
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