marrons confits dans du vin, puis un gigot de
pre-sale, tendre comme du gateau; puis des legumes qui fondaient dans la
bouche et de la bonne galette chaude, qui fumait en repandant un parfum
de beurre.
On but du cidre pur, mousseux et sucre, et du vin rouge et capiteux, et,
apres chaque plat, on faisait un trou avec de vieille eau-de-vie de
pommes.
Le diable but et mangea comme un coffre, tant et si bien qu'il se trouva
gene.
Alors saint Michel, se levant formidable, s'ecria d'une voix de
tonnerre:
--Devant moi! devant moi, canaille! Tu oses... devant moi...
Satan eperdu s'enfuit, et le saint, saisissant un baton, le poursuivit.
Ils couraient par les salles basses, tournant autour des piliers,
montaient les escaliers aeriens, galopaient le long des corniches,
sautaient de gargouille en gargouille. Le pauvre demon, malade a fendre
l'ame, fuyait, souillant la demeure du saint. Il se trouva enfin sur la
derniere terrasse, tout en haut, d'ou l'on decouvre la baie immense avec
ses villes lointaines, ses sables et ses paturages. Il ne pouvait
echapper plus longtemps; et le saint, lui jetant dans le dos un coup de
pied furieux, le lanca comme une balle a travers l'espace.
Il fila dans le ciel ainsi qu'un javelot, et s'en vint tomber lourdement
devant la ville de Mortain. Les cornes de son front et les griffes de
ses membres entrerent profondement dans le rocher, qui garde pour
l'eternite les traces de cette chute de Satan.
Il se releva boiteux, estropie jusqu'a la fin des siecles; et, regardant
au loin le Mont fatal, dresse comme un pic dans le soleil couchant, il
comprit bien qu'il serait toujours vaincu dans cette lutte inegale, et
il partit en trainant la jambe, se dirigeant vers des pays eloignes,
abandonnant a son ennemi, ses champs, ses plaines, ses coteaux, ses
vallees et ses pres.
Et voila comment saint Michel, patron des Normands, vainquit le diable.
Un autre peuple avait reve autrement cette bataille.
* * * * *
UNE VEUVE
[Illustration d'ARCOS]
C'etait pendant la saison des chasses, dans le chateau de Banneville.
L'automne etait pluvieux et triste. Les feuilles rouges, au lieu de
craquer sous les pieds, pourrissaient dans les ornieres, sous les
lourdes averses.
La foret, presque depouillee, etait humide comme une salle de bains.
Quand on entrait dedans, sous les grands arbres fouettes par les grains,
une odeur moisie, une buee d'eau tombee, d
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