m; et il repetait sans cesse: "Cette
bete-la, c'est une personne. Il ne lui manque que la parole."
Il lui avait fait confectionner un collier magnifique en cuir rouge qui
portait ces mots graves sur une plaque de cuivre: "Mademoiselle Cocotte,
au cocher Francois."
Elle etait devenue enorme. Autant elle avait ete maigre, autant elle
etait obese, avec un ventre gonfle sous lequel pendillaient toujours ses
longues mamelles ballottantes. Elle avait engraisse tout d'un coup et
elle marchait maintenant avec peine, les pattes ecartees a la facon des
gens trop gros, la gueule ouverte pour souffler, extenuee aussitot
qu'elle avait essaye de courir.
Elle se montrait d'ailleurs d'une fecondite phenomenale, toujours pleine
presque aussitot que delivree, donnant le jour quatre fois l'an a un
chapelet de petits animaux appartenant a toutes les varietes de la race
canine. Francois, apres avoir choisi celui qu'il lui laissait pour
"passer son lait," ramassait les autres dans son tablier d'ecurie et
allait, sans apitoiement, les jeter a la riviere.
Mais bientot la cuisiniere joignit ses plaintes a celles du jardinier.
Elle trouvait des chiens jusque sous son fourneau, dans le buffet, dans
la soupente au charbon, et ils volaient tout ce qu'ils rencontraient.
Le maitre, impatiente, ordonna a Francois de se debarrasser de Cocotte.
L'homme desole chercha a la placer. Personne n'en voulut. Alors il se
resolut a la perdre, et il la confia a un voiturier qui devait
l'abandonner dans la campagne de l'autre cote de Paris, aupres de
Joinville-le-Pont.
Le soir meme, Cocotte etait revenue.
Il fallait prendre un grand parti. On la livra, moyennant cinq francs, a
un chef de train allant au Havre. Il devait la lacher a l'arrivee.
Au bout de trois jours, elle rentrait dans son ecurie, harassee,
efflanquee, ecorchee, n'en pouvant plus.
Le maitre, apitoye, n'insista pas.
Mais les chiens revinrent bientot plus nombreux et plus acharnes que
jamais. Et comme on donnait, un soir, un grand diner, une poularde
truffee fut emportee par un dogue, au nez de la cuisiniere qui n'osa pas
la lui disputer.
Le maitre, cette fois, se facha tout a fait, et, ayant appele Francois,
il lui dit avec colere: "Si vous ne me flanquez pas cette bete a l'eau
avant demain matin, je vous fiche a la porte, entendez-vous?"
L'homme fut atterre, et il remonta dans sa chambre pour faire sa malle,
preferant quitter sa place. Puis il reflechit qu'il ne pourrait e
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