ouler des levres des femmes sur le poil veloute du chat qui ronronne.
Elle gouvernait ses betes avec autorite; elle regnait.
C'etait une vieille fille, en effet, une de ces vieilles filles a la
voix cassante, au geste sec, dont l'ame semble dure. Elle avait toujours
eu de jeunes bonnes, parce que la jeunesse se plie mieux aux brusques
volontes. Elle n'admettait jamais ni contradiction, ni replique, ni
hesitation, ni nonchalance, ni paresse, ni fatigue. Jamais on ne l'avait
entendue se plaindre, regretter quoi que ce fut, envier n'importe qui.
Elle disait "Chacun sa part" avec une conviction de fataliste. Elle
n'allait pas a l'eglise, n'aimait pas les pretres, ne croyait guere a
Dieu, appelant toutes les choses religieuses de la "marchandise a
pleureurs".
Depuis trente ans qu'elle habitait sa petite maison, precedee d'un petit
jardin longeant la rue, elle n'avait jamais modifie ses habitudes, ne
changeant que ses bonnes impitoyablement, lorsqu'elles prenaient vingt
et un ans.
Elle remplacait sans larmes et sans regrets ses chiens, ses chats et ses
oiseaux quand ils mouraient de vieillesse ou d'accident, et elle
enterrait les animaux trepasses dans une plate-bande, au moyen d'une
petite boche, puis tassait la terre dessus de quelques coups de pied
indifferents.
Elle avait dans la ville quelques connaissances, des familles d'employes
dont les hommes allaient a Paris tous les jours. De temps en temps, on
l'invitait a venir prendre une tasse de the le soir. Elle s'endormait
inevitablement dans ces reunions, et il fallait la reveiller pour
qu'elle retournat chez elle. Jamais elle ne permit a personne de
l'accompagner, n'ayant peur ni le jour ni la nuit. Elle ne semblait pas
aimer les enfants.
Elle occupait son temps a mille besognes de male, menuisant, jardinant,
coupant le bois avec la scie ou la hache, reparant sa maison vieillie,
maconnant meme quand il le fallait.
Elle avait des parents qui la venaient voir deux fois l'an; les Cimme et
les Colombel, ses deux soeurs ayant epouse l'une un herboriste, l'autre
un petit rentier. Les Cimme n'avaient pas de descendants; les Colombel
en possedaient trois: Henri, Pauline et Joseph. Henri avait vingt ans,
Pauline dix-sept et Joseph trois ans seulement, etant venu alors qu'il
semblait impossible que sa mere fut encore fecondee.
Aucune tendresse n'unissait la vieille fille a ses parents.
Au printemps de l'annee 1882, la reine Hortense tomba malade tout a
coup. Les v
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