n oeuf sur la neige;
oui, un oeuf, depose la, tout blanc comme le reste du monde. Il se
pencha, c'etait un oeuf en effet. D'ou venait-il? Quelle poule avait pu
sortir du poulailler et venir pondre en cet endroit? Le forgeron
s'etonna, ne comprit pas; mais il ramassa l'oeuf et le porta a sa femme.
--Tiens, la maitresse, v'la un oeuf que j'ai trouve sur la route!
La femme hocha la tete:--Un oeuf sur la route? Par ce temps-ci, t'es
soul, bien sur?
--Mais non, la maitresse, meme qu'il etait au pied d'une haie, et encore
chaud, pas gele. Le v'la, j'me l'ai mis sur l'estomac pour qui
n'refroidisse pas. Tu le mangeras pour ton diner.
L'oeuf fut glisse dans la marmite ou mijotait la soupe, et le forgeron se
mit a raconter ce qu'on disait par la contree. La femme ecoutait, toute
pale.
--Pour sur, que j'en ai entendu, des sifflets, l'autre nuit, meme qu'ils
semblaient v'nir de la cheminee.
On se mit a table, on mangea la soupe d'abord, puis, pendant que le mari
etendait du beurre sur son pain, la femme prit l'oeuf et l'examina d'un
oeil mefiant.
--Si y avait que que chose dans c't'oeuf?
--Que que tu veux qu'y ait?
--J'sais ti, me?
--Allons, mange-le, et fais pas la bete.
Elle ouvrit l'oeuf. Il etait comme tous les oeufs, et bien frais. Elle se
mit a le manger en hesitant, le goutant, le laissant, le reprenant. Le
mari disait:
--Eh bien! que gout qu'il a, c't'oeuf?
Elle ne repondait pas, et elle acheva de l'avaler; puis, soudain elle
planta sur son homme des yeux fixes, hagards, affoles; leva les bras,
les tordit et, convulsee de la tete aux pieds, roula par terre en
poussant des cris horribles.
Toute la nuit elle se debattit en des spasmes epouvantables, secouee de
tremblements effrayants, deformee par de hideuses convulsions. Le
forgeron, impuissant a la tenir, fut oblige de la lier.
Et elle hurlait sans repos, d'une voix infatigable:
--J'l'ai dans l'corps! J'l'ai dans l'corps!
Je fus appele le lendemain. J'ordonnai tous les calmants connus sans
obtenir le moindre resultat. Elle etait folle.
Alors, avec une incroyable rapidite, malgre l'obstacle des hautes
neiges, la nouvelle, une nouvelle etrange, courut de ferme en ferme: "La
femme au forgeron qu'est possedee!" Et on venait de partout, sans oser
penetrer dans la maison; on ecoutait de loin ses cris affreux pousses
d'une voix si forte qu'on ne les aurait pas crus d'une creature humaine.
Le cure du village fut prevenu. C'etait un vieux
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