elle n'y consentirait jamais.
--En etes-vous bien sur?
--Elle se tuera si je l'abandonne.
--Si vous l'abandonnez froidement et brutalement, c'est possible; mais
si vous le faites par loyaute, par devouement, au nom de l'honneur, au
nom de votre amour meme...
--Jamais! jamais Marthe ne se resignera a me perdre, je le sais trop.
--Voila de la fatuite. Autorisez-moi a lui parler avec la meme franchise
que je viens d'avoir avec vous, et nous verrons.
--Jean! encore un coup, vous avez des vues sur elle!
--Moi? Il faudrait pour cela trois choses: 1 deg. qu'il n'y eut plus un seul
miroir dans l'univers; 2 deg. que Marthe perdit la vue; 3 deg. qu'elle et moi
n'eussions aucun souvenir de ma figure.
--Mais quelle obstination avez-vous a nous separer?
--Je vais vous le dire sans detour: j'ai des vues pour un autre.
--Vous etes charge de la seduire ou de l'enlever? Pour quel prince russe
ou pour quel don Juan du Cafe de Paris?
--Pour le fils d'un cordonnier, pour Paul Arsene.
--Comment, vous le voyez?
--Tous les jours.
--Et vous m'en avez fait mystere?... Voila qui est etrange!
--C'est fort simple, au contraire. Je savais que vous ne l'aimez pas, et
je ne voulais pas vous entendre mal parler de lui, parce que je l'aime.
--Ainsi vous etes le Mercure de ce Jupiter, qui deja s'est change en
pluie de gros sous pour me supplanter?
--Triple insulte pour _lui_, pour _elle_ et pour _moi_. Grand merci!
C'etait dans votre role? Vous l'avez tres-bien dit! Si j'etais claqueur,
je me pamerais d'admiration.
--Mais enfin, Laraviniere, c'est a me rendre fou! Vous agissez ici
contre moi, vous me trahissez, vous parlez pour un autre. Et moi qui me
fiais a vous!
--Et vous aviez raison, Monsieur. Je n'ai jamais prononce le nom
d'Arsene devant Marthe. Et quant a vous brouiller avec elle, je n'ai
jamais fait que le contraire. Aujourd'hui je renonce a vous reconcilier:
mon coeur et ma conscience me le defendent. Ou je quitte la maison
aujourd'hui pour ne plus revoir ni vous ni Marthe, ou je l'engage, avec
votre autorisation, a rompre un engagement qui vous pese et qui la tue."
Horace, vaincu par la rude franchise et la fermete impitoyable de
Laraviniere, mis au pied du mur, et ne sachant plus comment faire pour
regagner l'estime de cet homme dont il craignait le jugement, promit de
reflechir a sa proposition, et demanda quelques jours pour prendre un
parti definitif. Mais les jours s'ecoulerent, et il ne sut se
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